Chroniques

Entrevue : Leif Vollebekk

« Cet album, j’ai l’impression que c’est moi pour la première fois. » C’est ainsi que le chanteur d’origine ontarienne, mais Montréalais d’adoption Leif Vollebekk décrit son sentiment face à Twin Solitude, son troisième disque en carrière, à paraître le 27 février sur l’étiquette Secret City Records. Un album plus personnel, qui témoigne d’une quête de liberté et de spontanéité dans sa démarche créative.

« Je savais que j’avais besoin d’un autre album, que je voulais en faire un que j’allais aimer », raconte Vollebekk attablé devant un café dans le sous-sol des locaux de Secret City Records à Montréal. Le constat est venu pendant la tournée qui a suivi la parution du disque North Americana en 2013, comme s’il avait parfois l’impression de chanter les chansons de quelqu’un d’autre : « Quand tu tournes en chantant tes propres chansons, tu fais face à ton projet beaucoup plus longtemps. […] J’ai réalisé que je me retrouvais de moins en moins dans mes chansons au fur et à mesure que je changeais comme personne ». Influencé par Bob Dylan et Neil Young, l’auteur-compositeur-interprète a aussi réalisé que l’étiquette de « chanteur folk » lui pesait : « Je ne me suis jamais vu comme un folk singer, mais c’est comme ça qu’on m’appelait. […] Et plus j’ai voulu rentrer là-dedans, plus je me suis coincé… »

Une rumeur a couru voulant qu’il se réfugie dans sa chambre d’hôtel après les concerts pour écouter Pink Moon, le dernier album de Nick Drake paru en 1972, deux ans avant la mort du chanteur. Une rumeur que Vollebekk s’empresse de démentir… en partie : « Je l’écoute peut-être une fois par mois, ou aux deux mois, surtout l’été. Je me couche sur le divan, j’ouvre les fenêtres, j’entends les autobus, les voitures, les enfants qui crient… et Pink Moon. C’est tellement serein, c’est juste parfait. […] Je ne veux rien imiter, mais cet album-là, son feeling, léger, mais avec beaucoup de poids en même temps, c’est le genre de chose que je voulais faire ».

S’affranchir de son propre carcan…

Cette quête de liberté s’entend dès les premières mesures de Vancouver Time, la chanson qui ouvre Twin Solitude, avec ses claviers et son chant d’inspiration soul. La chose peut surprendre, mais n’a rien d’étonnant quand on connaît l’admiration que Vollebekk voue à Ray Charles. « Quand j’écris une chanson facilement, sans trop y penser, ça marche toujours mieux que quand j’essaie de le faire », dit-il pour tenter d’expliquer comment cette spontanéité s’est manifestée dans le processus de création. En fait, le musicien dit avoir voulu retrouver un peu de son adolescence : « J’ai écrit beaucoup de chansons quand j’étais au secondaire. Des chansons horribles, mais je les écrivais tellement vite que je n’avais pas le temps de les critiquer parce que j’en avais déjà faite une autre. […] Il faut juste laisser les choses aller. »

C’est ainsi qu’une chanson comme Into the Ether est née pendant qu’il expérimentait avec un synthétiseur, tandis qu’Elegy lui est venue pendant qu’il se baladait à vélo à travers Montréal. Quant à Michigan, elle a été composée sur une guitare à moitié accordée avant d’aller au lit. « Je n’ai pas le sentiment d’avoir écrit ces chansons-là. Elles sont venues comme si elles étaient déjà toutes écrites avant. »

Leif Vollebekk a aussi l’impression de s’être accordé un plus grand espace de liberté dans les paroles, même si l’on y retrouve certains de ses thèmes de prédilection, comme l’amour (souvent insaisissable), les récits de voyage, l’immensité de la nature. « J’ai l’impression que les chansons sont un peu comme des rêves, explique-t-il. Un rêve, c’est impossible à expliquer, à définir. L’histoire peut être la même d’un rêve à l’autre, mais le feeling est différent. » Le chanteur a également voulu briser certaines règles qu’il s’était imposées à lui-même : « Si Bob Dylan dit “téléphone cellulaire” dans une chanson, on a l’impression que ça vient briser la magie. Mais si Kendrick Lamar le fait, il n’y a pas de problème… Mais c’est quoi la différence? »

La liberté, oui, mais dans l’ordre et la symétrie…

Autant Twin Solitude se veut un exercice de liberté, autant la séquence des chansons semble avoir été orchestrée avec minutie. Ainsi, la première moitié de l’album se veut plus soul, avec les claviers à l’avant-plan, tandis que la seconde partie revient à une facture plus folk, où les guitares reprennent leur droit, jusqu’à la finale orchestrale sur Rest, qui témoigne des influences scandinaves de Vollebekk (il a des origines norvégiennes, a étudié la philosophie en Islande et aime Sigur Rós).

« C’est comme si ça m’avait pris du temps pour rattraper mon subconscient qui, lui, avait tout planifié », explique le chanteur pour justifier l’ordre des chansons. « C’est par après que j’ai réalisé que c’était d’abord les claviers, puis les guitares, mais ce n’était pas pensé comme ça au départ. Mais ça fonctionne! C’est comme s’il n’y avait pas eu d’autre manière de faire. C’était supposé être comme ça… »

Leif Vollebekk se dit également privilégié d’avoir pu s’entourer de collaborateurs chevronnés qui lui ont permis de réaliser sa vision, à commencer par l’ingénieur Dave Smith (du studio Breakglass), du mixeur Oz Fritz (qui a travaillé avec Tom Waits), et de musiciens comme Sarah Pagé (The Barr Brothers), Olivier Fairfield (Timber Timbre) ou encore le bassiste Shahzad Ismaily. Mais là encore, c’est en priorisant la liberté d’exécution que Vollebekk a obtenu ce qu’il voulait : « Tu ne trouves pas quelqu’un de bon pour ensuite le contraindre à faire ce que tu veux. Oui, tu peux leur expliquer un peu ce que tu recherches, mais en général, ce qu’ils vont faire par instinct, c’est infiniment mieux que ce que tu voulais au départ… »

« Il n’existe pas de génie littéraire sans liberté d’esprit », disait Toqueville, écrivain français du XIXe siècle. Mais ça vaut pour la musique aussi, non?

http://www.leifvollebekk.com/

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