Critiques

Richard Desjardins + Bernard Adamus + Avec pas d'casque + Philippe B + Philippe Brach...

Desjardins (album)

  • 117 Records
  • 2017
  • 51 minutes
6

Richard Desjardins est l’un des artistes les plus pertinents, poétiques et forts que le Québec ait connu dans les derniers 50 ans. Un auteur-compositeur-interprète qu’on place dans une catégorie sélecte qui compte de très rares membres dont on pourrait nommer André « Dédé » Fortin. S’attaquer aux chansons de Desjardins, c’est s’attaquer à un monument. Et pour se frotter à des monuments, il faut avoir la couenne solide et surtout, il faut avoir de quoi à dire artistiquement avec les chansons.

Desjardins propose onze nouvelles versions de chansons interprétées par une belle brochette d’artiste. Certains nous offrent des relectures qui méritent de faire le détour. À l’opposé, on se rend compte aussi que du Desjardins, ça ne se chante pas n’importe comment. La charge émotive que l’homme engagé sait injecter à un texte n’est pas anodine ni facile à réinterpréter.

Commençons par les bons coups, parce qu’il y en a des très réussis. L’album s’ouvre sur Avec pas d’casque qui reprend Au pays des calottes avec une bonne dose de joual, de mélancolie et de beauté. L’esthétique country-folk de la formation se colle à merveille au texte qui traduit le mal d’être d’un homme qui ne sent pas qu’il appartient à un milieu. On peut en dire autant de Bernard Adamus qui harnachent Les mammifères. La voix rêche et crue du grand Montréalais qui en a vu d’autres est un véhicule parfait pour la poésie pas polie de Desjardins. Mais de toutes les nouvelles interprétations qu’on nous propose, c’est celle de Klô Pelgag et Philippe Brach qui ressort du lot. Le duo rend Les Yankees avec tout ce qu’il faut de sensibilité et d’intelligence pour traduire la réalité des envahis. Qu’ils soient Mexicains, Troyens, Nigériens ou Québécois. Une version alternative avec une instrumentation intelligente qui prend de plus en plus d’ampleur. Le duo Brach et Pelgag est magnifique, tout simplement.

«Et tout ce monde sous la toile
qui dort dans la profondeur:
« Réveillez-vous!
V’là les Yankees, v’là les Yankees
Easy come, Wisigoths,
V’là les Gringos!»
– Les Yankees

Keith Kouna se débrouille aussi avec Jenny tout comme Koriass qui offre une version rappé de M’as mettre un homme là-dessus. Le problème, c’est que certaines pièces passent carrément à côté de la track. En tête de file, Va-t’en pas interprétée par Safia Nolin. Ce n’est pas un manque de travail de la jeune femme, mais son style languissant et mélancolique fait perdre toute puissance à ce texte. C’est une déchirure interne, un appel à l’aide, un ultime essai pour garder un être cher près de soi alors qu’il cherche à se sauver. La charge émotionnelle n’est pas calme ou nostalgique. Elle est dynamique, nerveuse et perdue dans l’urgence. Après tout, le protagoniste trouve tout ce qu’il peut pour garder son interlocuteur à la maison :

«Va-t’en pas
Dehors y a des orgies d’ennui
Jusqu’au fond des batteries
Va-t’en pas
Dehors j’ai vu un ciel si dur
Que tombaient les oiseaux»
– Va-t’en pas

Malgré leurs bonnes intentions, c’est idem pour Philippe B, Les Sœurs Boulay et Émile Bilodeau qui manquent tous d’un peu de charges émotives. C’est trop gentil, poli et mélodieux pour bien faire entendre ce qui se cache dans les textes de Desjardins. Au moins, Saratoga se débrouille vraiment très bien avec la douce Quand j’aime une fois j’aime pour toujours. Heureusement, personne n’a osé se frotter à …et j’ai couché dans mon char.

Ce n’est vraiment pas facile de s’attaquer à la poésie de Desjardins. Cet album hommage fait parfois mouche, mais passe aussi à côté de la charge émotionnelle qui habite l’œuvre de ce monument. Pis Desjardins, serait sûrement en sacrament qu’on parle de lui en tant que monument, parce que les statues, c’est bon pour les morts pis lui est encore bien vivant.

Ma note: 6/10

Artistes variés
Desjardins
117 Records
51 minutes

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