Depuis une vingtaine d’années, il y a une horde de groupes qui pestent à chaque fois qu’ils se font comparer à Karkwa. Ça donne une idée de l’importance du groupe dans la culture populaire québécoise. « Groupe-phare » est une bonne manière de décrire la formation qui a eu un impact significatif sur la manière qu’on faisait du rock dans la Belle Province.

La formation avait pris une pause en décembre 2011 après des virées folles à travers la province. Depuis, Julien Sagot et Louis-Jean Cormier ont tous les deux lancé quatre albums, François Lafontaine a participé à de nombreux opus, dont ceux de Marie-Pierre Arthur, Martin Lamontagne a sablé le pont Jacques-Cartier et Stéphane Bergeron a joué derrière les tambours pour différents musiciens, dont Antoine Corriveau. En 2018, un sursaut s’était produit alors que Karkwatson était de retour pour une courte série de concerts. Il y a eu aussi un concert à La Noce en 2018. Outre ça, pas de Karkwa en bonne et due forme. Puis, en mai dernier, arrive Parfaite à l’écran, un premier simple qui laisse présager un retour sur album de la formation.

Karkwa évite les pièges des groupes qui disparaissent et reviennent. Il n’y a pas de doutes à l’écoute de Dans la seconde, on sent un vent de fraîcheur et une proposition qui a fait du chemin depuis Les chemins de verre. Il y a des éléments qu’on a toujours aimés qui sont encore là : les synthétiseurs aux textures surprenantes de François Lafontaine, la section rythmique plus que solide et les mélodies vocales convaincantes de Louis-Jean Cormier. Il y a aussi du nouveau. On sent davantage la main de Julien Sagot et sa poésie dans les paroles et le groupe ne parle que d’une voix : les paroles, la musique et les arrangements sont signés Karkwa.

Le groupe ne s’est pas empressé, même si le retour était attendu depuis longtemps. Il a enregistré entre avril 2022 et mai 2023 les chansons parfois surprenantes qui se retrouvent sur Dans la seconde. Il y a tout d’abord la grande place laissée à la musique. C’est vrai notamment dans le dernier tiers de la chanson Miroir de John Wayne. On y retrouve autant des percussions intéressantes que des synthétiseurs aux sonorités surprenantes. Ce procédé, Karkwa va souvent le ramener et ce sera aussi une place de liberté pour les concerts que le groupe offrira au cours des prochains mois.

Parlons des meilleures pièces de l’album. Gravité est dotée d’un excellent refrain et reprend ce thème cher à Karkwa : les difficultés et les frictions de la vie ordinaire. Cette fois-ci, c’est le sentiment que rien n’avance, un certain sens de la désillusion qui occupe la place centrale. Le tout se déroule avec une bonne ligne de basse lourde, des claviers qui surprennent par leurs textures inédites. Vraiment, François Lafontaine fait de la magie à de nombreuses reprises sur Dans la seconde.

Dans L’échafaud, il y a une belle mélancolie, mais aussi des sonorités lumineuses et ce contraste créé du beau. Encore une fois, le refrain est convaincant et le chœur vocal y est pour quelque chose. Du courage pour deux qui conclut Dans la seconde le fait avec grandiloquence et achève un parcours assez impressionnant.

C’est difficile de revenir après 13 ans avec des attentes comme celles qui accompagnent une sortie de Karkwa. Mais il y a chez les cinq membres du groupe une authenticité et une conscience de l’amour porté au groupe. À la toute fin des crédits de l’album, il y a en petit ceci d’écrit : « Et un dernier merci à tous les fans de la première heure, ceux qui nous ont vus grandir, ceux qui ont grandi avec notre musique, ceux qui n’ont jamais cessé d’espérer un retour, et même ceux qui vont nous découvrir avec cet album. C’est l’amour que vous nous portez qui donne un sens à tout ça. »

Dans la seconde vaut entièrement le détour et rappelle ce qui a toujours fait de Karkwa un groupe qui se démarquait dans le paysage québécois : un désir de faire les choses pour les bonnes raisons et composer de la bonne musique. Et sur cet album, il y en a du bon.