Critiques

Tropical Fuck Storm

Deep States

  • Joyful Noise Recordings
  • 2021
  • 51 minutes
8
Le meilleur de lca

Lors des premiers mois de confinement imposé par l’éclosion de la covid-19, le chanteur-guitariste de la formation Tropical Fuck Storm, le charismatique Garreth Liddiard, était en panne d’inspiration. Rien n’émergeait de son cerveau créatif. « Why would I ? Everything seemed pointless », peut-on lire dans le communiqué de presse remis par la maison de disque. Depuis 2018, l’Australien extériorise avec une ironie jouissive l’aliénation causée par la culture consumériste, l’angoisse liée aux changements climatiques en forte progression et les conséquences de l’impérialisme américain sur de nombreuses régions de la planète.

Les deux premiers longs formats du quatuor, A Laughing Death in Meatspace (2018) et Braindrops (2019) plongeaient dans le no wave, le post-punk et même le noise-rock. Avec Deep States, le groupe ajoute de la profondeur à sa palette sonore. La new wave à la Talking Heads, le blues industriel à la Tom Waits et même des rythmes inspirés par le hip-hop s’intègrent subtilement dans le son de la formation, et ce, sans dénaturer la direction artistique empruntée sur les deux premiers albums.

La crédibilité de Tropical Fuck Storm a toujours reposé sur des textes satiriques conjugués à un rock singulier et intemporel. Avec Deep States, la recette demeure à peu de choses près inchangée à la différence que Liddiard, Kitschin, Hammel et Dunn brouillent encore plus les pistes en versant dans une étrangeté sonore accentuée… en parfaite cohésion avec les textes troublés et paranoïaques de Liddiard.

Deep States relate les états mentaux instables d’un confiné. Les ruminations dystopiques, les anticipations apocalyptiques et les abreuvements aux histoires virales sur les réseaux sociaux sont l’apanage de ce personnage qui pourrait bien être votre voisin. Liddiard démontre beaucoup d’empathie pour cet être profondément souffrant qui s’est construit un récit imaginaire reposant sur une planète où les humains seraient en voie de disparition.

Sans être un album contestataire « classique », Deep States est une introspection bienveillante sur ce qui conduit certains de nos semblables à adopter des comportements déviants et bizarres. Dans Blue Beam Baby, l’auteur fait preuve de compassion à l’endroit de Ashli Babbitt, cette femme abattue lors de l’insurrection du Capitole par des partisans de Donald Trump le 6 janvier dernier. Liddiard se met dans la peau du mari de Babbitt qui doit vivre aujourd’hui avec la disparition de son épouse. Émouvant et troublant à la fois.

One time she walked me by the mighty hall

A window opened on a sight so grim

A sight so evil she couldn’t look away

My blue beam baby went and walked right in

Can you see

Can you see what I see?

Can you see

Can you see what I see?

It’s an invisible world

– Blue Beam Baby

Dans The Greatest Story Ever Told, Liddiard visualise mentalement la résurrection du Christ revenant sur terre pour nous prévenir que notre soif collective pour « la fin des temps » est dangereuse pour notre salut mental.

Good luck being perfect now I’m back in town

Raising your standards ain’t gonna save you now

Your moral hygiene always ends in tears

Do goods feel good spreading their zeal

Like gonorrhoea

– The Greatest Story Ever Told

Deep States ne recèle aucune grande chanson, mais la cohérence entre l’approche littéraire de Liddiard et cette musique magnifiquement imprécise vient largement compenser cet impair. Dans Suburbiopia, il y a bien les mélodies limpides, gracieuseté de Erica Dunn et Amy Taylor (Amyl and the Sniffers), qui attirent notre attention et dans The Donkey, les salves de guitares bruitistes s’affairent à la faire dévier, mais en définitive ce nouvel opus doit être écouté du début à la fin pour en apprécier toute la substance.

Tropical Fuck Storm nous rappelle que nos problèmes politiques, sociaux et environnementaux tardent sérieusement à se résoudre. Ce qui traîne se salit. Deep States pose un constat lucide et implacable : il n’y a pas de conclusion possible à la folie humaine… ni à la créativité qui lui résiste. Ce bruit incessant que nous avons dans nos têtes, Tropical Fuck Storm en fait de la musique.

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