Swing
Au revoir Siméon
- Labrique
- 2023
- 42 minutes
Pour la première fois sur Le Canal Auditif je vais adresser mes propos au « je », car j’ai toujours entretenu un rapport presque trop personnel avec le rap belge et ses artisans. J’ai découvert Swing quand il rappait au sein de L’Or du Commun. Je suis tombé amoureux de sa prose, de sa façon de dire les choses. J’ai même échangé une poignée de main avec lui lorsque le trio est passé à Montréal, il y a quatre ans de cela. Ses deux premiers EP en solo sont simplement phénoménaux. Marabout frôle ou prend même une place, à mon humble avis, dans le top cinq des meilleurs projets de rap belge contemporain. Évidemment, je ne pouvais qu’attendre le premier album en bonne et due forme de Swing, Au revoir Siméon, au tournant pour sa sortie au début du mois.
Le long jeu s’ouvre sur Maladresse, le simple qui avait annoncé la couleur du reste du projet quand il avait été lancé à la fin du mois de septembre. Marabout, son premier EP (presque un album à 10 chansons), tenait des sonorités plus jazzy dans son ensemble, ALT F4 se reposait sur une profonde noirceur fataliste, tandis qu’Au revoir Siméon ne semble emprunter aucune de ces deux avenues. Une certaine fracture se ressent dès les premiers morceaux entendus dans le projet. Après avoir pris ses distances avec l’Or du Commun, collectif qui l’a vu grandir depuis le début des années 2010, le rappeur laisse derrière lui Siméon Zuyten et embrasse son alter ego sans regarder en arrière. Et voilà où se situe le point faible majeur de ce nouvel album.
Swing est maintenant un artiste frais, Swing est dès lors un artiste nouveau. Le mélange entre les instruments organiques et les sonorités électroniques est très intéressant. Les productions flirtent avec la pop, le R&B, la soul, le rock et même la techno. Mais à trop vouloir en faire, le projet souffre en quelque sorte d’une ambition démesurée, Icare se brûle les ailes. Le personnage de la mythologie grecque sera justement nommé, au côté de personnalités comme Daniel Balavoine, Aaliyah ou Kobe Bryant, ayant perdu la vie dans des catastrophes aériennes, dans le morceau portant le nom du regretté basketteur.
Quand dire au revoir, on sera très peu à l’avoir choisi
— KOBE
Grand crash, Aaliyah, Icare, Balavoine, Kobe
[…]
S’élever très haut pour ne plus jamais redescendre
Le projet manque d’une certaine cohérence dans sa globalité : l’enchaînement entre Mélanome et Mafia représente à la perfection le propos. Après un morceau soul et une prise de risque plutôt maîtrisée de la part de Swing, l’artiste retourne complètement l’ambiance en proposant un morceau, bien que traitant d’un sujet profondément intéressant à explorer qu’est celui du racisme, teinté par une production afrobeat fade à souhait et de l’autotune à en faire grincer les dents. Swing est un artiste trop pur, trop authentique pour laisser modifier sa voix dans de l’autotune. Laisse-la aux deux frères de PNL, camouflant leur manque de talent à travers cette technologie, laisse l’autotune à JuL et à ses sons à passer uniquement en soirées.
Si la musicalité de ce plus récent opus ne m’a pas charmé, la plume de Swing demeure efficace et touchante. Architecte des mots, peintre des idées, Swing offre habilement de grandes réflexions au niveau individuel comme au niveau communautaire. L’artiste a toujours habitué ses auditeurs à des paroles basées sur les émotions, et le regard mélancolique sur l’époque est encore frais à travers les textes d’Au revoir Siméon. La mise à nu, notamment sur Magritte, est quoi qu’on en dise toujours compliqué à réaliser, et à ce niveau-là Swing ne décevra jamais. Une mention doit également être donnée à la collaboration entre Swing et YG Pablo, une autre perle bruxelloise à découvrir, sur Reykjavik. L’alchimie entre les deux rappeurs belges est excellente et pourrait peut-être présager d’autres morceaux où les artistes se partagent le feu des projecteurs.
À une époque où la paresse est tristement de mise dans les créations artistiques d’une partie des artisans du hip-hop francophone, il est certain que Swing est passé par son inverse en concevant Au revoir Siméon. Plusieurs des productions, réalisées avec le très inventif Crayon, s’enchaînent souvent dans un même morceau. S’il est parfois compliqué de suivre le cap, le rappeur a pris le temps de lancer un album hétéroclite, concis, où il serait certainement dur de s’ennuyer à l’écoute.
Au revoir Siméon n’est pas mauvais, quasiment aucun des 15 titres n’est à jeter à la poubelle, mais à la fois aucune chanson du projet ne m’a transcendé comme N., Corbeaux ou Richesse, dans le reste du catalogue de l’artiste, avaient pu le faire par avant. L’intention de virage, de transition, bien que nécessaire, comporte ses défauts, et l’on reste encore sur des standards plus bas que ceux proposés par l’artiste auparavant.
Swing reste encore selon moi le rappeur le plus sous-estimé du Plat Pays, et lorsque l’artiste aura totalement trouvé son son, son identité artistique, il sera simplement imprenable sur le haut de son podium.