Critiques

Les Mains Sales

Fêlures

  • Stomp Records
  • 2020
  • 30 minutes
7,5

C’est comme si les ex-membres du groupe The Sainte Catherines s’étaient passé le mot pour se lancer dans de nouveaux projets en 2020. Quelques semaines seulement après la sortie de l’album Concerta Fantasio d’Hugo Mudie, voilà que Fred Jacques nous présente Fêlures de son nouveau groupe Les Mains Sales, un disque de punk rock dense et énergique, aux mélodies particulièrement efficaces.

Tout comme Mudie, Fred Jacques est un vétéran (le mot est faible) de la scène punk québécoise. Il a cofondé en 1999 The Sainte Catherines (une véritable institution du genre), en plus de jouer avec les formations Miracles et Yesterday’s Ring (avec son complice Mudie). Avec Les Mains Sales, Jacques ne renie pas son héritage punk, bien au contraire, mais lorgne également du côté du post-punk, du post-hardcore ou du shoegaze (sur L’été de l’ecstasy, qui fait penser à Nothing).

Les dix morceaux qui composent Fêlures ont été écrits par Fred Jacques à la suite d’un très grave accident de voiture survenu le 29 février 2015 et abordent différents thèmes comme la maladie, les amours éphémères, les problèmes de consommation ou l’exploitation sexuelle. Ce n’est pas à proprement parler un album concept, même si la chanson 29 février ne laisse évidemment planer aucun doute sur le sujet qu’elle aborde :

« Avoir su que je finirais accroché à ma civière

Les mains sales à compter mes plaies dans les bras de ma mère

Défoncé comme un junkie, vouloir s’arracher les yeux

Avoir peur de pu pouvoir vivre à 100 milles à l’heure ».

29 février

Au chapitre des paroles, Fêlures témoigne d’ailleurs d’une belle recherche sur le plan du style, et il est même dommage que la voix ne soit pas davantage mise en évidence. Une des belles réussites de Jacques est de signer des textes à la fois très personnels, mais en même temps enrichis de plusieurs références littéraires. Ainsi, le groupe lui-même tire son nom de la pièce de théâtre Les mains sales de Jean-Paul Sartre, tandis que La fêlure (The Crack-Up en anglais) est un recueil de nouvelles de l’auteur Francis Scott Fitzgerald, paru en 1936, qui a également inspiré Robin Pecknold lors de l’écriture du dernier album des Fleet Foxes, sorti il y a trois ans.

Tout cela peut sembler pompeux et un peu intello, mais ça illustre une belle richesse intertextuelle. Les références sont parfois assez subtiles, de l’ordre de l’inspiration inconsciente, ou parfois plus explicites. Ainsi, le texte de la chanson Décatie emprunte librement au roman Le plongeur de Stéphane Larue, qui raconte l’histoire d’un accro aux loteries vidéo devenu plongeur dans un restaurant :

« Comme une bille de plomb

Lâchée lousse dans un jeu de pinball

Elle sait pu « fuckall »

Elle cogne sa tête partout

À force de tourner en rond

Elle voit flou ».

Décatie

Musicalement, le punk des Mains Sales demeure dans un registre assez accessible, même plutôt pop par moments, axé avant tout sur les mélodies. Pour faire simple, on est plus proche des Buzzcocks que de Black Flag, mettons. Les textures de guitares sont bien ciselées, grâce au jeu de Jacques et de son complice Ryan Battistuzzi, qui assume aussi le titre de réalisateur. Il y a sur Fêlures de nombreux vers d’oreille, dont le premier extrait Personne ou l’excellente Le vertige de la chute.

Si on souhaiterait parfois que les clins d’œil musicaux soient un peu moins appuyés (l’instrumentale Commotion évoque le Monument du non-être et Mouvement du non-vivant de Milanku jusque dans le texte récité en fond sonore), voilà un album qui fait l’effet d’un puissant exutoire en ces temps d’angoisse et de remise en question sur notre mode de vie ou les façons d’envisager l’après-confinement.

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