Critiques

Glauque

Les gens passent, le temps reste

  • Ecluse
  • 2023
  • 43 minutes
8,5
Le meilleur de lca

On ne vit plus l’âge d’or du rap belge. Damso vient vraisemblablement de s’accorder une pause jusqu’en 2025, Roméo Elvis se rapproche davantage de la variété que du rap dans ses projets les plus récents, silence radio depuis des mois du côté de L’Or du commun tandis que Caballero & JeanJass, aussi excellents soient-ils, ne pondent pas les albums les plus réguliers dernièrement. Le seul au niveau, c’est Hamza. Mais ça, c’est une autre histoire. Et puis il y a Glauque, ce quatuor émergent mêlant la musique électronique au rap dans ce résultat sombre, étouffant et hypnotique. En 2019, le magazine français Les Inrockuptibles titrait « Glauque est le groupe que le monde entier attendait ». Des espoirs énormes envers le nouvel album de la formation namuroise, Les gens passent, le temps reste, pouvaient logiquement se faire ressentir par tout amateur de rap francophone.

Glauque, entre le vert et le bleu, mais plutôt le noir. L’album donne cette envie de l’écouter la nuit dans la pénombre. Peut-être en marchant la tête vide, sans destination. Ou de tuer l’arc-en-ciel pour revenir à sa forme la plus morne. La chanson Bleu.e semble parfaitement exprimer l’idée, réussissant à travers une écriture fine à apporter de la nouveauté sur un sujet qu’on a déjà revisité 1000 fois, le ressenti personnel d’une post-rupture.

Se revoir en soirée dans un monde en couleurs
En sachant qu’on a déjà avalé les couleuvres
Qu’on voyait déjà le film en noir et blanc

– Bleu.e

Les gens passent, le temps reste tire vers des nuances sombres et moroses, non pas d’un sentiment agressif comme des artistes comme Freeze Corleone ou Kaaris nous ont habitués par le passé, mais plutôt vers un sombre plus fin, pessimiste, comme si demain ne valait pas la peine à leurs yeux. Les textes de Louis Lemage, rappeur et parolier du groupe, sont empreints de cette vérité qu’on évite d’entendre, exposant entre autres entre rap et slam ses craintes, la difficulté à se faire reconnaître dans ce monde si brut ou l’inévitable fatalisme, sur l’excellent Pas le choix.

Ne pas s’en aller
Compter ton estime, la perdre
Mais t’as pas le choix d’y aller

– Pas le choix

Lemage le répète pourtant sur nombre de médias, il ne s’estime pas porte-parole des maux et tourments d’une génération, il n’estime pas son rap revendicateur. Même si, bon, il est compliqué de ne pas se retrouver au moins une fois dans les paroles de l’artiste.

Si les riches textes de Glauque composent la première force de son projet le plus récent, l’instrumentation singulière complète l’autre facette remarquable de Les gens passent, le temps reste. À savoir, plusieurs membres de la formation namuroise sont passés par le Conservatoire de musique. Et cela se devine dès la première écoute. Les expérimentations aux synthétiseurs et la sonorisation d’une manière plus générale apportent une approche du rap totalement différente à ce qu’on est habitué par la musique commerciale française, troquant même à plusieurs reprises dans l’album les mélodies pour de simples rythmes. Une direction aussi nichée ne plaît peut-être pas aux masses, plutôt aux auditeurs dotés d’une oreille éduquée et d’une certaine base musicale.

Un contre-exemple pourrait alors être soulevé sur Noir, sixième titre de l’album. En contraste au reste du projet, Louis Lemage chante à de nombreuses reprises un refrain presque pop, dansant, mais surtout sous autotune. D’un point de vue personnel, le quatuor doit absolument s’assumer dans son style distinct, sans tomber dans les codes de la variété. Par risque de terminer comme « les autres ».

Avant de clôturer l’album sur Deuil, douzième morceau, il serait malhonnête de ne pas faire mention au coup de poing absolu du titre le précédant, Rance. Alors que Lesage s’exprime au « tu » à son enfant qui ne naîtra jamais, l’artiste raconte au terme d’une introspection inouïe sa peur d’être père, de ne pas être à la hauteur, mais aussi les craintes que sa progéniture ne puisse s’en sortir dans ce monde si dur. « J’serais jamais un bon père, j’veux pas de malentendu », lâche-t-il avant le dernier refrain du morceau. Une pépite, un petit chef-d’œuvre.

On ne vit plus l’âge d’or du rap belge. Vont-ils reprendre le flambeau?

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