Critiques

Cloud Nothings

The Shadow I Remember

  • Carpark Records
  • 2021
  • 32 minutes
7

S’il y a un groupe qui représente assez bien « l’indépendance rock » américaine, c’est bien Cloud Nothings. Avec une discographie ne comportant que très peu de faux pas, la formation menée par Dylan Baldi tourne sans cesse depuis près de 11 ans… sauf cette année, pour les raisons que l’on connaît. Avec 9 albums studio à son actif, dont les célébrés Attack on Memory (2012), Here and Nowhere Else (2014) et Last Building Burning (2018), le groupe poursuit sa route avec un admirable entêtement anachronique. Faire du rock avec l’intention de fédérer un certain public ? En 2021 ? Oui, c’est encore possible.

Au printemps dernier, TJ Duke (basse), Chris Brown (guitare), l’excellent Jason Gerycz (batteur) et Baldi se sont donc réunis dans leur ville d’origine, Cleveland, Ohio, pour enregistrer près de 30 esquisses de chansons. Ces ébauches ont ensuite été envoyées au vétéran Steve Albini, celui-là même qui a réalisé Attack on Memory. Et tout ce beau monde s’est retrouvé rapidement au Electrical Studio situé à Chicago, un mythique studio d’enregistrement qui appartient à Albini.

Ceux qui connaissent le modus operandi de cette « légende du rock » savent qu’avec lui, le processus d’enregistrement est principalement axé sur la performance en direct du groupe en studio. Avec Cloud Nothings, il n’y a aucune inquiétude à y avoir. Le quatuor est parfaitement soudé et ce n’est pas étranger au talent du batteur Jason Gerycz; un véritable métronome qui, par sa virtuosité, bonifie à lui seul les chansons de Baldi.

The Shadow I Remember est un album qui respecte parfaitement les codes indie-punk-rock que le groupe a lui-même peaufinés au cours des dernières années. En fait, il n’y a aucune surprise sonore sur ce disque. Les habitués de la formation seront ravis de retrouver la formation en mode « sans fioritures ». Le seul changement notable est l’approche vocale plus mélodique de Baldi qui s’éloigne de la hargne proférée sur Last Building Burning.  

Cette constance et cette intégrité sont plus que respectables, mais elles constituent aussi les obstacles qui restreignent la possible refonte sonore de la formation. Les chansons de ce nouvel album auraient pu faire partie de n’importe quel autre album de Cloud Nothings tant ce qui est proposé est familier. Si Last Building Burning empruntait à And You Will Know Us By Trail of Dead, The Shadow I Remember s’approprie subtilement le son de la formation Superchunk, mais en plus hyperactif.

Mais ce qui différencie ce nouvel album de ses prédécesseurs, c’est assurément l’approche littéraire de Dylan Baldi. The Shadow I Remember est un disque plus personnel qui met en relief l’envie de l’auteur d’être reconnu en tant qu’artiste; cet irrépressible désir de reconnaissance qui plonge la plupart d’entre nous dans un état anxieux. Dans le refrain de Am I Something?, Baldi exprime ce mal-être de manière sans équivoque :

« Am I something? Do you see me?
Does anybody living out there really need me?

Am I something? Do you see me?
Does anybody living out there really need me? »

– Am I Something ?

Cloud Nothings atteint sa pleine capacité lorsqu’il arpente les sentiers punks et qu’il délaisse ses ambitions mélodiques. It’s Love, Am I Something?, Only Light et The Room It Was électrisent l’auditeur en raison de leurs approches frénétiques respectives, mais le survoltage s’estompe un peu trop sur Nothing Without You qui met en vedette Macie Stewart de la formation Ohmme.

On serait curieux d’entendre ce que Baldi et ses acolytes pourraient nous offrir en prenant un peu plus de risques, surtout en osant des arrangements plus étoffés (claviers, cordes, etc.).

Le groupe demeure bien sûr une valeur sûre de l’indie-rock états-unien. Après autant d’années à sillonner les routes de l’Amérique en quête d’une certaine forme de respect, d’être un groupe rock aussi persévérant et sincère relève de l’exploit.