Critiques

Ada Lea

one hand on the steering wheel the other sewing a garden

  • Next Door Records
  • 2021
  • 41 minutes
8
Le meilleur de lca

Lorsqu’Alexandra Levy, connue sous le nom Ada Lea, a lancé son premier album il y a deux ans, elle a reçu les accolades un peu partout avec son indie rock introspectif, proche de l’univers d’une Soccer Mommy. Avec one hand on the steering wheel the other sewing a garden, elle élargit considérablement sa palette sonore pour offrir un disque encore plus abouti, et qui révèle une plume aiguisée et sensible.

De toute évidence, Ada Lea aime l’idée d’un journal musical. Pour le précédent effort, what we say in private, elle avait puisé dans les textes de son journal intime afin de décrire son cheminement à la suite d’une rupture amoureuse douloureuse. Cette fois, chaque chanson prend la forme d’un récit lié à un souvenir précis (personnel ou fictif), avec Montréal pour cadre puisque c’est ici qu’Ada Lea a grandi. La version physique de l’album est d’ailleurs accompagnée d’une carte qui détaille l’emplacement des récits, avec en plus un livret contenant les paroles et les accords des chansons.

C’est cependant à Banff, en Alberta, à l’occasion d’une résidence d’artiste, que les onze chansons composant one hand on the steering wheel the other sewing a garden ont d’abord pris forme. Ada Lea a ensuite pris la route de Los Angeles pour travailler en studio avec le réalisateur Marshall Vore (Phoebe Bridgers). Si l’album bénéficie d’une production un peu plus élaborée que what we say in private, il y règne tout de même une certaine esthétique lo-fi en raison de la prise de son très directe, avec la voix très près du micro et ces doigts qu’on entend glisser sur la guitare.

Même s’il s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur, one hand on the steering wheel the other sewing a garden constitue un grand pas en avant pour Ada Lea, tant sur le plan de la musicalité que de la qualité de l’écriture. Pourtant, il n’y a rien de révolutionnaire ici. On entend des références à Big Thief, à Angel Olsen, et même à Leif Vollebekk (sur la très belle partner), mais elles sont assumées et ne prennent jamais le dessus sur la voix d’auteure de la musicienne montréalaise. Par exemple, sur la magnifique ballade acoustique saltspring, elle réussit à évoquer autant les Kinks que Simon and Garfunkel tout en y injectant quelque chose d’éminemment personnel de par sa voix, son ton et cette impression qu’elle nous parle en toute confidence, tandis qu’elle semble se remémorer une relation amoureuse à distance.

Alors que what we say in private était un peu plus uniforme dans ses atmosphères de type indie rock tirant sur le folk, Ada Lea n’hésite pas cette fois à ratisser plus large et à jouer davantage sur les contrastes. Il y a un petit côté new wave dans les guitares stridentes et la batterie électronique de can’t stop me from dying, tandis qu’une pièce comme backyard emprunte à la pop des années 60 avec son rythme en trois temps. Et il y a la superbe my love 4 u is real, qui démarre comme une ballade indie folk avant de céder le pas à un déferlement de guitares lourdes à la fin du refrain.

Les histoires d’Ada Lea sont à la fois privées et universelles. Oui, elle s’inspire de son passé et de son attachement pour Montréal, mais les textes demeurent juste assez énigmatiques pour éviter de tomber dans l’anecdotique. Sa poésie est simple, mais c’est ce qui la rend si touchante, grâce surtout à sa capacité à « créer des situations avec quelques mots seulement », comme elle l’a confié en entrevue avec ma collègue Éloïse Léveillé-Chagnon. Ainsi, sur damn, elle rend compte avec beaucoup d’acuité de ce sentiment de trop-plein qui nous envahit lorsqu’on sent que tout prend le bord :

Damn the home, damn the dog

Damn the life that’s winning

– damn

Les traces du talent d’Ada Lea étaient déjà présentes sur son premier album, mais elles s’expriment ici avec une plus grande liberté, moins contraintes par certaines structures alambiquées qui caractérisaient certains titres. Ça s’entend dans la musique, mais aussi dans sa prosodie irrégulière à la Bob Dylan qui fait que les mots semblent se bousculer dans sa bouche, comme sur l’exquise oranges. Bref, l’avenir s’annonce radieux pour cette Montréalaise, et on n’en est qu’au deuxième chapitre.

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