Critiques

Flore Laurentienne

8 tableaux

  • Secret City Records
  • 2024
  • 36 minutes
7

En voilà, un artiste fascinant et singulier de cette scène québécoise. Flore Laurentienne, projet de Mathieu David Gagnon, chatouille les oreilles de ses admirateurs depuis quelques années déjà, à travers des compositions teintées d’une formation classique et de couches de synthétiseurs envoûtantes. Ses deux premiers opus, Volume 1 et Volume 2, étaient inspirés de la nature québécoise, de son immensité, et du fleuve St-Laurent. L’artiste gaspésien ne nous propose pourtant pas aujourd’hui un Volume 3 comme troisième album, mais bien 8 tableaux inspirés de l’œuvre du peintre montréalais Jean Paul Riopelle. Mathieu David Gagnon a composé une partie de l’album en résidence au Musée des beaux-arts de Montréal en novembre dernier, entouré de toiles de son artiste fétiche.

Les influences différentes du disque se font grandement ressentir, 8 tableaux détonnent du reste de la discographie de Flore Laurentienne. On ne croit plus accueillir sur une joue la brise légère d’une balade sur les plages de Tadoussac en mai, on ne se sent pas le calme d’une nuit d’hiver en plein cœur d’une forêt des Laurentides. Cette troisième parution semble trop sombre et parfois oppressante pour s’imaginer vivre de petits plaisirs de la vie comme tels. Point d’ancrage, premier titre de l’album, s’ouvre sur un fa dièse à deux différentes octaves légèrement hors tonalité. La pièce va en crescendo, que ce soit dans le volume, les couches harmoniques ou les textures, avant de redescendre et enchaîner sur La nuit bleue. Un tableau de Riopelle porte le même nom, et la transposition en musique est maîtrisée. On imagine de petites bulles qui éclatent, comme des couleurs qui se confrontent à l’image de l’enchevêtrement complexe aperçu sur la toile du peintre montréalais.

À l’écoute, l’album 8 tableaux semble pourtant bien moins accessible que ses deux prédécesseurs. Le disque est plus chargé, mais souvent plus lent et sans réelle base mélodique. On touche davantage à de l’ambient que du néo-classique. Dans un monde où la frénésie des pièces de deux minutes nous est servie à la carte en radio (ou même sur TikTok, les extraits durent 10 secondes dans ce cas-là), il faut être doté d’une patience en or pour réellement apprécier cette parution de Flore Laurentienne. Ce n’est pas un reproche, mais plutôt une remarque; la patience est la mère de toutes les vertus, rappelons-le. L’Îles-aux-Oies reflète le propos : Flore Laurentienne tricote pendant plus de 3 minutes sur un saut entre un si bémol et un sol, répétant sans cesse la tierce sans aucun ajout mélodique autre. De la contemplation, donc, mais aussi du chaos : Feuilles IV évoque un brouillard, une tempête de neige, un déluge. Pendant une minute, l’auditeur n’entend qu’un amas brouillon et indescriptible de sons, avant qu’une mélodie aiguë au clavier ne vienne ponctuer le tout. Si beaucoup écoutent du néo-classique pour se relaxer, passez votre chemin sur ce morceau, vous en ressortirez certainement plus stressé.

Nous n’entendons pas de cordes à travers les lignes des compositions de ce 8 tableaux, elles qui avaient pourtant été si majeures dans les pièces de Volume 1 et de Volume 2, les synthétiseurs occupent presque exclusivement la place centrale de la parution. Un riff de guitare obsessif récolte la lumière, pour une fois, sur les sept minutes d’Autriche III, mais globalement, Flore Laurentienne délaisse les instruments organiques dans ce nouvel album.

8 tableaux est un album expérimental, difficilement accessible et visiblement moins incontournable et marquant que les sublimes Volume 1 et Volume 2. Mais dans un monde qui va si vite, dans un monde où l’on peine à prendre le temps pour apprécier la vraie beauté des choses, la parution vient offrir cet effet contraire à l’auditeur. 8 tableaux vient te dire de t’arrêter, juste un moment, juste un petit moment.

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