Critiques

Sigur Rós

ÁTTA

  • BMG
  • 2023
  • 57 minutes
7,5

La parution d’un nouvel album de Sigur Rós constitue toujours un événement en soi. Quelques jours à peine après la sortie d’une nouvelle chanson, la formation islandaise vient de lancer presque sans avertissement son huitième album en carrière, ÁTTA, son disque le plus contemplatif, qui fait la part belle aux arrangements orchestraux et aux envolées aériennes grâce à l’apport du London Contemporary Orchestra.

ÁTTA, qui signifie tout simplement « huit » en Islandais, marque un grand retour sur disque pour Sigur Rós, dont le dernier album « officiel » remonte déjà à dix ans. Depuis, la formation n’a pas été totalement inactive et a pris part à divers projets, dont la parution en 2020 du conte orchestral Odin’s Raven Magic, une œuvre dense combinant la musique néo-classique, le folklore et la littérature scandinave créée à l’origine en 2002, mais qui était ensuite demeurée cachée dans les tiroirs.

Plus significatif encore, ce nouveau disque des maîtres du post-rock céleste marque aussi le retour du multi-instrumentiste Kjartan « Kjarri » Sveinsson, qui avait quitté le bateau après la sortie de l’album Valtari en 2012. Sa présence sur ÁTTA est d’ailleurs une bénédiction pour le groupe, qui renoue avec l’esthétique grandiose qui a fait sa renommée, même si le résultat final est beaucoup plus lisse, axé davantage sur la finesse des couches instrumentales plutôt que sur les grands crescendos.

S’il fallait trouver un comparable à ÁTTA parmi toute la discographie de Sigur Rós, il s’agirait sans doute de Valtari, caractérisé lui aussi par une esthétique dépouillée et la volonté consciente de placer la section rythmique en arrière-plan. Mais ÁTTA amène cette idée encore plus loin avec une absence quasi totale de batterie. On peut y voir une décision pratique de la part du groupe, privé de batteur depuis 2018 en raison du départ d’Orri Páll Dýrason dans la foulée d’allégations d’agression sexuelle. Mais il s’agit aussi d’un choix éclairé compte tenu de la nature de ces dix nouvelles pièces, toutes en langueur et dont le rythme semble se déployer naturellement.

Une autre particularité d’ÁTTA est que la voix de Jónsi occupe un espace un peu plus restreint dans l’environnement sonore, se fondant davantage dans le mur de son créé par les cordes et les progressions harmoniques de l’orchestre. On s’en aperçoit dès la deuxième pièce, Blóðberg (premier extrait paru quelques jours avant l’album), sur laquelle la voix se fait douce et feutrée, jusqu’à se faire ensevelir par les couches instrumentales, suscitant un effet apaisant à l’image de tout le disque.

En fait, on peut affirmer sans détour que c’est l’orchestre dirigé par Robert Ames qui est la véritable vedette de ce huitième disque des Islandais, à un tel point que la place des instruments rock traditionnels s’en trouve diminuée. Certes, des arpèges de guitare servent de principal support harmonique sur la délicate Skel tandis qu’Andrá peut rappeler l’album ( ) (2002) avec sa partition de piano, mais ce sont les couleurs de l’orchestre qui dictent le tableau, comme sur la somptueuse Mór. Par ailleurs, seule la puissante Klettur est portée par une pulsation soutenue à la batterie.

En prenant un tel parti pris pour les nuances orchestrales, Sigur Rós a certes réussi à créer son disque le plus intimiste jusqu’ici, ce qui est un peu ironique quand on pense aux moyens techniques qui sont déployés. Cela dit, l’ensemble s’avère très lisse et soigné, sans aucune aspérité ou presque, alors que le groupe est au sommet de sa forme quand la richesse des textures se marie avec un côté plus strident ou rageux. On note aussi quelques longueurs, même si ça vient avec le style, surtout en fin de disque, tandis que la planante 8 s’étire un peu inutilement au-delà des neuf minutes.

Cela dit, ce nouvel album demeure d’une grande beauté, qui évoque les paysages les plus apaisants de l’Islande – non pas les volcans et les glaciers, mais les plaines et les grandes étendues. La préservation de la nature constitue d’ailleurs un élément clé de la culture islandaise et il est évident que le trio a conçu ÁTTA comme une ode à la beauté fragile de la planète, comme l’a confié Jónsi à la radio NPR : « Il y a les feux de forêt au Canada, beaucoup de feux à Los Angeles, la guerre en Ukraine et tout ça. […] Oui, il y a définitivement quelque chose de… non pas glauque, mais, je ne sais pas, quelque chose de lourd mais rempli d’espoir en même temps ».

Tel un chat qui a neuf vies, Sigur Rós parvient toujours à rebondir tout en évoluant dans un genre un peu sclérosé qui permet difficilement à un artiste de se renouveler. Alors qu’on sentait venir un petit essoufflement créatif après Valtari, le groupe avait ajusté le tir sur Kveikur (2013) en revenant avec un son plus musclé. Et voilà qu’après que les dernières années nous aient laissés craindre une implosion du groupe, réduit à deux membres pendant un moment, les Islandais plongent à fond dans la musique orchestrale, quitte à abandonner toute velléité rock ou presque. Qu’on embarque ou non dans ce nouveau disque, une telle résilience force l’admiration.

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