Critiques

Marie Davidson & L’Œil Nu

Renegade Breakdown

  • Bonsound / Ninja Tune Records
  • 2020
  • 52 minutes
6

Après des épisodes répétés de surmenage, la musicienne et DJ montréalaise Marie Davidson faisait un réel adieu au dancefloor à l’automne 2019. À peine un an plus tard, toujours chargée de cette hargne à peine camouflée pour l’industrie de la musique et ses ambassadeurs, elle offre un cinquième album en carrière qui nous laissera quelque peu indifférents. C’est accompagnée de L’Œil Nu –composé de l’acolyte et multi-instrumentiste Asaël R. Robitaille (Bernardino Femminielli, Panopticon Eyelids, Baal Astarté) et de son mari Pierre Guérineau (Essaie Pas, Feu St-Antoine) –, que Davidson tente d’entrer dans le style «chanson» avec le maxi Renegade Breakdown.

Si le trio désirait revenir au songwriting, « à l’écriture de chansons avec des couplets et des refrains, après avoir longtemps exploré la musique électronique, les textures, les sons et le minimalisme » comme on l’apprenait dans une entrevue accordée au Devoir, eh bien cette conversion ne s’est pas faite sans défauts.

Impossible d’écouter Renegade Breakdown d’un bout à l’autre sans devoir s’arrêter un instant, soit pour respirer et tenter de comprendre dans quel univers on se trouve, ou bien pour passer à la prochaine piste. Cependant, le problème se trouve surtout au niveau de l’écoute et moins dans l’écriture. Les seuls simples Worst Comes To Worst et Renegade Breakdown dévoilés en amont laissaient présager un album davantage corrosif, décapant, d’aplomb, et non raboteux ou indécis, allant dans toutes les directions. C’est comme si l’on avait dégusté le dessert avant le plat de résistance!

Bon, il se trouve une foule d’influences musicales disparates, mais intéressantes sur cet album. On surf sur le soft-prog de Pink Floyd avec la pièce Center of The World (Kotti Blues) et on retrouve un mélange de tons de guitares abrasifs et d’une basse méchante à la Justice sur la pièce éponyme. On entend aussi Les Rita Mitsouko sur C’est parce que j’m’en fous, mais aussi une certaine Julie London dans Just In My Head. Puis, La Ronde et sa formule de comptine d’amour bon enfant vient encore plus brouiller les cartes.

Il y a évidemment d’autres parties qui se trouvent plus proches de leurs racines respectives dans la musique électronique. Sur Lead Sister, par exemple, qui débute avec une version MIDI d’une pièce du compositeur baroque Marcello, le résultat final est sombre et dissonant. L’ambiance reflète le sujet des paroles de la meneuse, tournant autour de Karen Carpenter, du groupe The Carpenters, décédée des complications de son anorexie.

Sinon, la qualité de la plume de Davidson n’a pas bronché. Cette dernière est toujours aussi crue, en s’adressant à l’auditeur, comme si elle déversait son fiel sur nous. Ça marche, oui, sauf qu’encore une fois, on a droit à la même sauce que dans Adieux au Dancefloor en 2016 ou Working Class Woman en 2018, même si elle souhaitait s’éloigner de la poésie parlée. D’ailleurs, c’est un style vocal qui lui va bien mieux que la formule chantée.

If I had a perfume line,
It would be called “No Collab”,
Expect no collaboration.
No need to call the cops,
I’d rather self police.
I betray everything I make,
Anger is everything I am.

– Renegade Breakdown

Davidson explore les thèmes de l’anxiété, de l’épuisement, de la mort, de la déchéance et de l’amour, le tout empreint d’un nihilisme qui lui colle à la peau depuis ses débuts à l’aube de 2012 : «The uglier I feel, the better my lyrics get». La reine de la techno montréalaise se demande pourquoi elle se sent aussi déconnectée de la musique dans Just In My Head. Son mal-être intérieur et sa sensibilité transparaissent plus que jamais.

Is it that something is changed, why the music feels lame, why do I feel so blue?
Or am I going strange, why the music’s so lame, why does it feel untrue?

– Just In My Head

À la lumière de tout ça, on ne se trouve malheureusement pas devant un chef d’oeuvre lorsqu’on écoute le travail de Marie Davidson & L’Œil Nu. Malgré que les trois musiciens et compositeurs viennent tous du milieu musical expérimental, Renegade Breakdown sera leur album d’expérimentations et d’essais-erreurs, mais surtout, il prouve qu’ils ont crée ce disque pour eux, pour changer de cassette.