Critiques

Lotic

Power

  • Tri Angle Records
  • 2018
  • 40 minutes
7,5

Lotic, c’est le nom de plume de J’Kerian Morgan, un Texan d’origine qui fait tourner les têtes sur la scène techno innovatrice depuis qu’il s’est établi à Berlin en 2012. L’expatrié américain a vite trouvé sa place dans le collectif Janus, qui organisait des soirées à l’image du Berlin du moment : fatigué du techno four-on-the-floor hédoniste, et activement à la recherche des prochaines formes que peut prendre la musique dance. (Janus a aussi vu éclore le talent d’un autre expat américain : M.E.S.H.)

Lotic a enfilé les mini-albums et les mix au fil des années, d’une façon qui suggérait un talent majeur en devenir. Ses compositions étaient denses, imprévisibles, émotives, futuristes, mais aussi chargées et un peu étouffantes, ce qui n’est pas forcément un défaut si on cherche des sensations fortes en musique. L’artiste a aussi lancé en 2014 un mixtape ayant pas mal l’air d’un album, Damsel in Distress, composé très spontanément et produit en quelques semaines.

En juillet, nous est finalement arrivé le premier “vrai” album de Lotic, Power, via l’étiquette Tri Angle, et cet album n’est pas vraiment ce que les EP avaient annoncé. Il y a de l’espace et du souffle dans les pièces de Power, et l’ensemble est beaucoup plus sensuel et invitant que le suggéraient des pièces claustrophobes et chaotiques comme Heterocetera ou Carried.

Les sonorités sont par moments hoquetantes et bruyantes d’une façon typique à la scène de Janus, les textures et arrangements ont encore quelque chose qui empeste la confusion et le mal de vivre, mais ces sonorités cohabitent avec des textures douces et feutrées, des voix tantôt chuchotées, tantôt chantant de façon ténue et râpeuse, et l’ensemble respire et est plus facile à aborder que l’œuvre de Lotic jusqu’à présent.

Sans vouloir jouer les psychanalystes de salon, il y a peut-être quelque chose dans la vie de Lotic qui l’amène à se présenter de façon relativement plus sensuelle et plus mélodieuse. Les photos récentes du musicien montrent qu’il prend en effet une apparence physique plus féminine et glamour qu’auparavant. C’est une tournure de moins en moins surprenante, mais je ne veux surtout pas insinuer que cette transition a quoi que ce soit d’opportuniste. Je pense plutôt qu’on assiste à une normalisation de l’identité fluide, ce qui entraînera encore plus d’acceptation (non sans une certaine résistance chez certains, mais fuck them) et l’épanouissement de gens et de musiciens œuvrant dans une scène musicale ou les interdits et les tabous prennent peu à peu le bord, chose que j’accueille à bras ouverts. Un peu comme Sophie l’a fait plus tôt cet été, mais dans un registre moins caricatural et triomphant, Lotic célèbre l’acceptation de soi et de son propre pouvoir d’une façon qui force l’admiration.