Critiques

Sinner get ready

Lingua Ignota

Sinner Get Ready

  • Sargent House
  • 2021
  • 56 minutes
9
Le meilleur de lca

Kristin Hayter : pianiste et chantre d’Église qui possède un registre vocal stupéfiant. Élevée dans une famille dysfonctionnelle où elle a été humiliée physiquement et sexuellement par les hommes qui gravitaient autour de la cellule familiale, elle est devenue aujourd’hui une résistante, une véritable battante. Cette fille en a vraiment bavé.

En 2017, lors de la parution de All Bitches Die, on se doutait bien que la dame allait faire de sérieux ravages et, comme prévu, la concrétisation de son talent est survenue avec le sublime Caligula (2019). En incorporant des ascendants opératiques, du black métal et du folk gothique à sa musique, en enrichissant ces influences d’orchestrations néo-classiques, d’atmosphères industrielles, de cris stridents et de vibratos émouvants, Hayter a fait écarquiller bien des yeux et a dessuinté beaucoup d’oreilles. Sur ce long format, Hayter décrit avec une précision oppressante la mécanique relationnelle qui mène aux abus physiques et sexuels de toutes sortes.

Lingua Ignota est de retour avec Sinner Get Ready. Encore une fois, c’est l’excellent Seth Manchester (Daughters, Alexis Marshall) — principal collaborateur d’Hayter — qui réalise ce nouveau long format. Pas moins d’une quarantaine d’instruments ont été utilisés pour élaborer ces chansons, même si l’assise de celles-ci est résolument pianistique.

Pour cette nouvelle offrande, Hayter souhaitait amoindrir la splendeur industrielle de ses œuvres et la mixité des genres musicaux qu’elle incorpore pour faire place à une instrumentation inspirée par la musique traditionnelle des Appalaches (violon, banjo, guitare acoustique, etc.). Elle a donc quitté sa résidence de San Diego, Californie, pour s’installer à Philadelphie, Pennsylvanie. Elle a finalement atterri, seule et isolée, dans le borough de State College, une cité universitaire située dans les montagnes appalachiennes. Cette solitude l’a rendu inconfortable; une gêne accrue bien sûr par le confinement.

Inspirée par l’histoire rurale et religieuse de l’état de la Pennsylvanie, Hayter poursuit sa quête de rédemption, en évoquant toujours ses traumatismes personnels, mais désormais exprimés de manière métaphorique. Après un trio chansonnier qui aurait pu faire partie de l’aventure Caligula (The Order of Spiritual Virgins, I Who Bend the Tall Grasses et Many Hands), Hayter entame un périple plus pacifié. La frémissante Pennsylavania Furnace capte entièrement notre attention avec ses magnifiques orchestrations fertilisées par l’interprétation toute en retenue et bouleversante de cette grande dame âgée seulement de 35 ans.

Repent Now Confess Now mise sur un piano et un banjo pour soutenir les émouvantes superpositions vocales d’Hayter, mais c’est la troublante confession de l’artiste qui nous chavire :

« I can’t say

I don’t deserve it… »

– Repent Now Confess Now

The Sacred Linament of Judgment remémore le chant grégorien en plus d’inclure l’échantillonnage d’une entrevue qu’avait donné le télévangéliste Jimmy Swaggart où il avouait avoir abusé sexuellement de certaines de ses adeptes. Cette confession a mené à son arrestation en 1988. Dans une ambiance minimaliste et empreinte de mystère, Perpetual Flame of Centralia réunit piano et mandoline… et la poignante voix alto d’Hayter. Cette œuvre magistrale se conclut avec Man Is Like a Spring Water — un clin d’œil caustique à notre société patriarcale — et la divine The Solitary Brethren of Ephrata.

Obsédant et complexe, Sinner Get Ready est une création inclassable qui porte encore les stigmates des humiliations répétitives vécues par l’artiste. Pourtant, on discerne, parmi ces souffrances abyssales, la manifestation d’une certaine délivrance… comme si, enfin, une lumière libératrice se manifestait à l’horizon. Kristin Hayter mérite notre entière admiration, mais surtout, la paix d’esprit.