Critiques

Lingua Ignota

Caligula

  • 66 minutes
8,5
Le meilleur de lca

« All I know is violence

All I want is boundless love »

I Am the Beast

Lingua Ignota signifie littéralement « langue inconnue ». Ce fut aussi le terme utilisée pour définir une langue cryptique inventée par l’Allemande Hildegard of Bingen, une religieuse et écrivaine canonisée par l’Église Catholique au 12e siècle. Lingua Ignota est aujourd’hui un projet musical d’envergure mené par Kristin Hayter; une pianiste classique et une chantre d’église qui possède un registre vocal époustouflant.

Hayter a été élevée dans un environnement familial complètement dysfonctionnel. Elle a été « physiquement, émotionnellement, sexuellement et psychologiquement abusée » par les hommes qui ont gravité autour de la cellule familiale… L’art et la musique lui ont sauvé la vie. En 2017, l’artiste lançait deux disques de manière indépendante : Let the Evil of His Own Lips Cover Him et All Bitches Die.

Forte de sa signature avec la maison de disques canadienne spécialisée dans le métal extrême, Profound Lore, Lingua Ignota lançait l’été dernier son troisième album studio intitulé Caligula… et ce nouveau disque bouscule totalement les conventions.

Lingua Ignota nous présente un disque aussi splendide que dérangeant qui combine des éléments sonores issus du black métal, du folk-gothique, de l’opéra, du néo-classicisme et de ce qu’on appelle le harsh noise; une musique brutale qui cherche à s’affranchir de toutes formes de mélodies et de rythmes. Une création qui demande à être apprivoisée au compte-gouttes, mais qui saura satisfaire le mélomane persévérant.

Sur Caligula, Hayter personnifie autant le pervers narcissique à l’esprit désaxé que la victime abusée par son bourreau. Elle décrit avec une précision oppressante la mécanique relationnelle qui mène à toute cette violence abjecte, à cette domination exercée par ces agresseurs en situation de pouvoir (torture mentale, isolement forcé, dépréciation de soi, etc.).

Orgue, piano, violon, violoncelle, batterie « doom » et saturations lugubres se côtoient dans le seul et unique but que le propos et les inflexions vocales de Hayter soient mis à l’avant-plan. Elle utilise toutes les tessitures vocales possibles, du hurlement primal au quasi-chant céleste en passant par des mélodies inspirées par l’opéra. C’est cette voix, combinée à cette atmosphère liturgique, qui crée cette tension constante.

Malgré la radicalité de la proposition et la solennité de l’interprétation de Hayter, l’indignation et l’effort de rédemption de cette créatrice de grand talent sont d’une authenticité bouleversante. Caligula oscille entre ressentiment et délivrance; un reflet parfait de l’état d’esprit qui habitait Hayter lors de la gestation de ce disque.

Certains bien-pensants, conservateurs bien pépères ou autres adeptes « d’art marketing » pourraient prendre la fuite dès les premières notes de ce Caligula, mais voilà un disque essentiel en ces temps troubles où la masculinité barbare et tyrannique, émanant d’une époque que l’on croyait révolue, refait surface. Incarnée par tous ces dirigeants autoritaires, campée à l’extrême droite de l’échiquier politique, cette définition erronée de la virilité doit mourir dans les plus brefs délais… et c’est ce que Kristin Hayter, alias Lingua Ignota, nous rappelle avec une admirable intransigeance.

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