Critiques

La Fièvre

La Fièvre

  • Indépendant
  • 2020
  • 33 minutes
7

Peut-être avez-vous été vous aussi ensorcelé par Faudra faire mieux, extrait du premier album éponyme du duo électro-pop La Fièvre? Ou peut-être est-ce leurs prestations remarquées qui leur ont permis de passer en demi-finale des Francouvertes qui vous a contaminé? Avec un nom on ne peut plus dans l’air du temps, La Fièvre a l’art de se faire remarquer ces derniers temps.

Il faut dire que leur pop aux rythmes acérés détonne passablement sur la scène musicale franco. La musique de La Fièvre tient autant du hip-hop champ gauche – pensez à Death Grips en moins agressif et moins expérimental –, que du dark-wave. En fait, comme l’a déjà souligné l’éminent LP Labrèche, l’univers du duo possède plusieurs liens avec celui de Backxwash, pour ses atmosphères sombres et ses rythmes rentre-dedans, mais aussi pour sa prise de parole engagée.

Car la principale force de La Fièvre est avant tout au niveau des textes, dans les prises de position féministes et environnementalistes qui sont plus que bienvenues dans cette conjoncture. Il faut dire que Zéa Beaulieu-April est déjà connue des milieux littéraires militants pour avoir entre autres cofondé la revue poétique Fermaille pendant la grève étudiante de 2012. Pas étonnant de voir resurgir dans La Fièvre un propos politique habile, d’une grande force poétique, qui arrive à se détacher des clichés qui plombent souvent de telles prises de paroles.

Comme chez Backxwash, l’engagement de La Fièvre passe par la figure de la sorcière, par une fascination pour la magie, par une volonté de mobiliser des symboles autrefois utilisés pour opprimer les femmes libres et d’en faire des outils d’émancipation. Pas étonnant d’entendre la voix de la lauréate du prix Polaris émerger sur Goddess.

Une des chansons les plus fortes de l’album est sans doute Survivante :

« Pleine lune : Nuit des mortes
Mes louves cuisinent des plats qui se mangent froids
Surveillantes, nos yeux jaunes veillent nos femmes
Car ce n’est plus nous les proies »

– Survivante

Sorcellerie et émancipation font ici front commun, dans une volonté d’écraser pour de bon les rapports inégaux que beaucoup d’hommes souhaitent préserver face aux femmes. Cette volonté de dénoncer, de mettre aux vues de tous des agissements hautement critiquables n’en devient que plus évidente dans le refrain, alors que Zéa Beaulieu-April répète sans vergogne :

« La honte change de camp
La peur change de camp »

– Survivante

On comprend que La Fièvre endosse pleinement les vagues de dénonciation telles qu’en a connu le milieu musical cet été. Mais si cela est nécessaire, le duo appelle à aller plus loin, clouant le caquet au passage à ceux qui voudraient leur reprocher de mettre tous les hommes dans le même panier :

« S’ils croient que nous éviterons de leur déplaire
Nous savons quoi faire
Nous prendrons la rue, le point dans les airs
Et, surprise pour vous, nous avons des frères »

– Survivante

Le positionnement du duo est ici évident. Il est évoqué sous différents angles tout au long de l’album. Et cela s’avère particulièrement efficace lorsque la voix se fait plus rythmée et les rythmes plus lourds, comme c’est la cas sur Survivante, mais aussi sur les très solides Faudra faire mieux, Malade et La Marge.

Malheureusement, les moments où le duo essaie d’intégrer une dimension plus mélodique à leur musique s’avère nettement plus faible. L’album tombe ainsi un peu à plat sur Un démon me cherche, qui rappelle sans trop d’agrément Ariane Moffatt, Écoféministe ou La Soif.

Au final, ce premier album de La Fièvre s’avère inégal, mais prometteur. Si le duo sait tabler sur ses points forts, il pourrait contribuer, aux côtés de Corridor, Population II et d’autres jeunes artistes aux propositions radicales, à renouveler le paysage de la musique québécoise francophone.