Critiques

Give Me Something Beautiful

Flesheaters

  • Indépendant
  • 2019
  • 44 minutes
7,5

La nécessité est mère de l’invention. Ce dicton s’applique bien au groupe montréalais Give Me Something Beautiful, qui vient de lancer son deuxième album qui, comme le premier, a été entièrement autoproduit. Là où Flesheaters se démarque, c’est dans ses sonorités plus rudes et anxiogènes, résultat d’un travail plus poussé de recherche sonore de la part d’un groupe qui donne tout son sens au mot « indie ».

Lancé il y a trois ans, le premier album de Give Me Something Beautiful, Ghost on a Throne (en lice au GAMIQ en 2016 dans la catégorie album ou EP expérimental de l’année), baignait effectivement dans des influences indie folk, avec aussi un petit côté pastoral, le tout augmenté d’arrangements soignés. Il y avait bien des moments plus costauds, où les guitares se faisaient soudainement plus rugissantes, mais on était dans quelque chose de généralement introspectif, voire même onirique.

Ce serait exagéré d’affirmer que Flesheaters marque un changement complet de direction musicale, mais il n’en reste pas moins qu’on est ailleurs en termes de travail sur les textures sonores. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, à commencer par le fait que le groupe possède désormais son propre studio à Montréal-Nord, ce qui lui a permis de pousser plus loin les expérimentations électroniques. L’ajout du claviériste Benjamin Levitan se traduit aussi par des synthés plus présents.

À ce sujet, la première chanson de l’album, l’épique Cap-aux-os, se veut la parfaite entrée en matière vers ce nouvel univers. Construite autour d’un motif de piano qui évoque le Patrick Watson de l’époque Close to Paradise, la pièce rappelle le son de Ghost on a Throne, avec la voix céleste de Matthew Hills qui flotte au-dessus des accords et de la basse mélodique d’Étienne Dextraze-Monast. Mais une fois la barre des deux minutes et demie franchie, tout s’arrête brusquement pour faire place à un solo de guitare volontairement strident, qui fait écho au texte glauque qui nous parle de « corps distordus », de « choix pervertis » et de « maisons en feu ».

Give Me Something Beautiful a dit s’être inspiré de l’atmosphère industrielle autour de son studio pour créer Flesheaters. C’est particulièrement évident sur la pièce-titre, dominée par les synthés qui rappellent le son « cold wave » du début des années 80. Le résultat peut surprendre, mais le mélange des voix de Matthew Hills et de Lianne Seykora (aussi une collaboratrice du premier album) opère à merveille.

Le groupe pousse encore plus loin l’expérimentation électronique sur l’étrange God Gave Me Teeth, qui verse presque dans le rock industriel à la Nine Inch Nails (mention spéciale au premier batteur du groupe, Raphaël Pellerin, qui joue sur cette pièce en particulier mais qui a depuis été remplacé par Simon Bellemare), et sur l’électro Shake It Like You Love Me, sur laquelle l’influence du travail solo de Thom Yorke se fait sentir. Si la première s’intègre assez bien aux autres chansons, la seconde apparaît comme un trop grand écart stylistique dans le contexte du disque dans son ensemble…

C’est ici que l’ordre des chansons prend toute son importance. Ainsi, les trois derniers titres nous ramènent tranquillement vers un son plus proche de Ghost on a Throne, procurant à l’auditeur un certain sentiment de résolution. La chanson Bareknuckle est particulièrement touchante de vulnérabilité, et sonne presque comme un hommage à Jeff Buckley, dont on célébrait récemment les 25 ans du disque Grace.

Give Me Something Beautiful a donc fait le pari de sacrifier une certaine cohérence dans son approche sonore pour jouer davantage avec les extrêmes, de la folk intimiste à l’électro lourd en passant par la pop orchestrale, sur des textes sombres qui abordent le deuil, les relations brisées et l’abus de pouvoir. Le résultat est forcément plus difficile à apprivoiser, mais sans doute plus satisfaisant à long terme…

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