Critiques

Cat Power

Covers

  • Domino Records
  • 2022
  • 44 minutes
7,5

On pourrait presque appeler ça un tour du chapeau. Après The Covers Record (2000) et Jukebox (2008), Cat Power rapplique avec un troisième album de reprises intitulé Covers. Revisitant des chansons de Frank Ocean, Lana Del Rey et autres Nick Cave, l’Américaine démontre à nouveau l’étendue de son talent et sa capacité à s’approprier la musique des autres pour en faire ressortir toute la profondeur.

L’artiste aussi connue sous le nom de Chan Marshall n’a évidemment plus besoin de présentation. En effet, voilà maintenant près de 30 ans qu’elle roule sa bosse dans les cercles indie rock, ayant développé une signature musicale axée sur l’authenticité et la justesse de ton, naviguant entre influences folk et soul avec brio. Il y a quatre ans, elle nous offrait le très réussi Wanderer, sur lequel elle revenait à une esthétique un peu plus lo-fi afin d’habiller ses textes empreints de mélancolie.

Cat Power cultive l’art de la reprise depuis le début de sa carrière. Dès son premier album Dear Sir, en 1995, elle s’offrait des relectures de Tom Waits et du groupe punk néo-zélandais This Kind of Punishment. Sur The Covers Record, elle puisait dans le répertoire folk-rock des années 60 et 70, avec des reprises des Rolling Stones et du Velvet Underground, sans oublier sa sublime version de Sea of Love, vieux succès R&B datant de 1959. Enfin, sur Jukebox, elle s’aventurait en territoire à la fois folk et country, revisitant des titres de Joni Mitchell ou Hank Williams.

La première grande qualité de ce nouveau Covers réside dans la diversité des sources auxquelles Marshall s’abreuve, et qui lui permet donc d’en tirer des versions à la fois inventives et surprenantes. Plusieurs titres pourraient d’ailleurs vous sembler peu familiers à la première écoute, comme ce fut le cas pour moi. Elle élargit également ses horizons jusqu’à se payer une reprise de Bad Religion de Frank Ocean, qu’elle rend quasi méconnaissable en l’enrobant d’arrangements plutôt minimalistes et en changeant la mélodie. En mode plus rock, sa reprise de Pa Pa Powers de Dead Man’s Bones (oui, oui, le groupe de Ryan Gosling) prend des airs d’hymne à la révolution alors qu’elle chante la phrase « Burn the streets / Burn the cars ».

Par rapport à ses deux cycles précédents de reprises, Covers révèle une Cat Power en mode un peu plus hargneux, comme si elle était habitée d’un sentiment d’urgence. Ça s’entend notamment dans les guitares granuleuses de White Mustang, habile reprise de Lana Del Rey, où elle est appuyée par un piano Rhodes. C’est toutefois sa version de la chanson I Had a Dream, Joe de Nick Cave and the Bad Seeds qui remporte la palme de la relecture la plus intense (et possiblement la plus réussie), alors qu’on croirait découvrir un morceau oublié de Swans-époque The Seer.

Mais Marshall sait aussi se faire plus vulnérable, comme lorsqu’elle s’approprie la délicate ballade A Pair of Brown Eyes des Pogues. Arrivant en toute fin de disque, juste avant son hommage à Billie Holiday et I’ll Be Seeing You, la version piano-voix de la chanson Here Comes a Regular des Replacements est bouleversante de sincérité. Elle n’est pas nécessairement meilleure que l’originale, mais elle nous amène ailleurs, comme c’est la marque des meilleurs interprètes.

Évidemment, Covers ne se supplée pas aux meilleurs disques de Cat Power comme The Greatest, mais c’est une preuve éloquente de son talent pour saisir l’émotion des chansons des autres. Même si on a parfois tendance à dénigrer la pratique, la reprise est un art et il n’y a peut-être pas de plus beau compliment pour un artiste que de voir quelqu’un d’aussi authentique réinterpréter une de ses créations.