Faith No More
The Real Thing/Angel Dust
L’histoire est écrite par les vainqueurs. Si les années 90 sont perçues comme la décennie où le rock alternatif, le punk et le hip-hop sont devenus les souverains de la musique populaire après vingt ans dans la marginalité, c’est parce que leurs victoires les plus éclatantes n’ont pas été éclipsées par leurs quelques cuisantes défaites.
Je m’explique: il est devenu honteux d’admettre qu’on a aimé Creed et Godsmack, mais l’impact de ces groupes n’a pas été supérieur à celui de Soundgarden, de Pearl Jam, d’Alice In Chains et des autres qui les ont influencés. On ne peut pas en dire autant du rap-rock et du funk-metal. Leurs principaux porte-étendards ont tôt ou tard eux-mêmes délaissé le genre, et leurs émules en ont fait une bouillie nü-metal qui est devenue carrément embarrassante, et pas seulement à cause de Woodstock ‘99. On peut parler ici d’un style vaincu.
Faith No More est associé à ce vestige musical, mais il serait dommage que ça fasse ombrage à ses bons coups. La formation a été plus imprévisible et innovatrice qu’à peu près tous les groupes issus de la scène métal et alternative des années 80. La cohabitation d’une section rythmique puissante et infatigable (le batteur Mike “Puff” Bordin et le bassiste Billy Gould), d’un claviériste ouvert à la musique pop et dance (Roddy Bottom), et d’un guitariste thrash ami personnel de Metallica (Jim Martin) ne pouvait que donner un rock difficile à catégoriser.
Les albums The Real Thing et Angel Dust ont été réédités ce mois-ci, visiblement pour profiter de la reformation du groupe. Les albums originaux sont accompagnés de quelques b-sides et d’enregistrements live qui n’avaient jamais été difficile à trouver, mais qui ont au moins le mérite de merveilleusement illustrer à quel point le groupe a progressé en à peine quelques années, tant en studio que sur scène.
Même si Faith No More existait depuis 1981, c’est l’album The Real Thing, et l’arrivée du sitedemo.caigieux chanteur Mike Patton, qui ont propulsé le groupe sur la scène internationale en 1990. Les ingrédients disparates du groupe trouvaient le juste équilibre avec The Real Thing. Composé et enregistré quand le groupe n’envisageait pas du tout la possibilité d’un succès commercial, The Real Thing offrait un hard rock ouvert aux influences externes, mais interprété au premier degré et avec sérieux. À titre d’exemple, il comprenait une reprise très fidèle de War Pigs de Black Sabbath. Dans les années suivantes, le groupe n’allait plus reprendre des influences aussi évidentes, et le ton allait devenir nettement plus irrévérencieux.
L’album est lancé en 1989, mais le succès arrive environ un an plus tard grâce à la chanson Epic, qui finira par atteindre le 9e rang du palmarès Hot 100 de Billboard. Faith No More est surpris par l’attention qu’il reçoit, et ouvre un peu trop la porte à la presse musicale. S’ensuit le difficile enregistrement de l’album suivant, une période où trop de choses pèsent sur les épaules du groupe. Il y a beaucoup de va-et-vient en studio, tant des journalistes que de représentants de la maison de disque. On espère d’autres hits comme Epic, d’autant plus que le récent mégasuccès commercial de Metallica et de Nirvana fait croire que le métal et le rock alternatif sont des mines d’or à exploiter au plus vite. Faith No More se rebiffe, restreint l’accès au studio, et compose un album pour envoyer promener les vautours qui l’encerclent. Il compose ses chansons les mieux ficelées à ce jour, mais est devenu trop cynique pour s’empêcher de se moquer de son propre passé et du rock grandiloquent en général.
Il en résulte l’album Angel Dust, lancé en juin 1992. Si on avait jusqu’alors décrit FNM comme un groupe rap-métal ressemblant un peu trop à certains rockeurs/surfeurs adeptes de punk et de funk (lire Red Hot Chili Peppers), ça n’allait plus être possible. À part quelques gros refrains accrocheurs, peu semble rester de l’ancien Faith No More. Les échantillonnages et les sons de synthés sont plus en évidence, les ambiances deviennent par moment très lugubres, voire déstabilisantes, et quand l’énergie se veut agressive, elle l’est plus qu’elle ne l’a jamais été (notamment dans les pièces Caffeine, Smaller And Smaller, Malpractice et Jizzlobber). Le groupe se met à aborder des genres incongrus, et il y saute à pieds joints, avec un humour pince-sans-rire qui colorera le reste de sa carrière (la pièce RV et la reprise du thème de Midnight Cowboy).
Ce changement de cap est ce qui est arrivé de mieux à Faith No More, et c’est ce qui a assuré qu’il reste à jamais dans les annales. Peu d’albums ont été aussi marquants pour la vaste scène métal, qui avait gravement besoin d’un coup de pied au derrière et d’une dose de cran. La période 1991-1992 nous avait donné le champ du cygne de Metallica et de Guns N Roses, et une panoplie d’albums décevants/désastreux d’autres grands noms tels que Megadeth et Iron Maiden. Le coup de pied au derrière n’est pas seulement venu de FNM, évidemment. Le mois de juin 1992 à lui seul nous a aussi donné Meantime de Helmet et Blues For The Red Sun de Kyuss. Un grand changement de garde s’annonçait, et Faith No More en était le meilleur exemple.
Personnellement, j’aurais du mal à trouver un album plus important qu’Angel Dust dans la formation de mes jeunes sensibilités musicales. C’est hors de tout doute l’album que j’ai le plus souvent écouté dans ma vie. Il est venu s’imposer à moi, comme à bien d’autres, pour la grande vérité qu’il recélait: à talent égal, l’artiste le plus singulièrement lui-même sera toujours plus fascinant que celui qui suit fidèlement les traces d’un autre.
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