Chroniques

Entrevue | Avec Marie-Claire Séguin : méditation sur l’enseignement musical et la vie

Avec sagesse, Marie-Claire Séguin a évoqué plusieurs éléments qui composent sa philosophie musicale et artistique. Dans le cadre d’une entrevue, les interrogations et les réflexions ont gracieusement débordé au sujet de son rôle d’enseignante d’ateliers en cette 22e édition du concours Chante en français.

Dans sa demeure quelque part sur l’île de Montréal, Marie-Claire Séguin m’a accueillie avec du thé. À la cuisine, près d’une grande table où abondent les livres, nous nous sommes déposés. Avant de se lancer dans toutes les questions, elle a tiré de la pile Sur la route avec Bashō, recueil de haïkus de Dany Laferrière, puis elle s’est mise à en lire de courts passages qui ont, sans le vouloir, donné le ton aux échanges qui ont suivis.

Marie-Claire Séguin a tenu à dire qu’au travers de toutes ses réponses à venir concernant l’enseignement d’ateliers musicaux, il existe des points de départ, voire des points centraux sur lesquels on doit se concentrer : « Dans le fond, ce qui m’intéresse, c’est la présence, que notre corps est notre instrument, que la vitalité va soutenir le souffle; tout ça pour chanter plus librement. Ahh pis avec le grand plaisir de la rencontre. Toutes ces affaires-là, c’est un peu ça que je recherche dans les ateliers ».

Les ateliers, comment ça se passe?

C’est la deuxième année que Marie-Claire Séguin donne des ateliers aux six finalistes de Chante en Français. Voilà plusieurs années qu’elle exerce ce métier. Questionnée sur leur déroulement, elle explique : « Premièrement, celle qui m’a rejoint, Geneviève Binette, c’est une ancienne élève de l’École de la chanson, là où j’ai travaillé 15 ans. Dans ce cas-ci, les partitions sont déjà là alors moi j’y vais avec un pianiste pis on travaille sur leurs chansons. Moi, dans le métier, il y a deux choses qui ont été primordiales : comprendre que notre instrument c’est notre corps pis l’autre affaire qui m’a toujours mystérieusement fasciné, c’est la présence. Je pense que la présence c’est un muscle. Fait que comment j’approche les choses, c’est d’essayer de trouver de plus en plus de liberté pour la voix. Ça va être des exercices pour libérer le souffle. On travaille sur le souffle, alors on cherche comment est-ce qu’on peut libérer le corps, comment le fortifier. Ça tourne autour de ça. Il faut se dire, il y a trois portes d’entrée: l’auteur, le compositeur, l’interprète. Chez les gens il y en a souvent un qui est plus fort que l’autre et ce que j’aime bien faire, c’est réveiller l’interprète qui va aller poser des questions à l’auteur-compositeur : qu’est-ce que t’as dis là? C’est quoi l’intention pis tout ça? Ça éclaircit beaucoup un texte quand on sait ce qu’on raconte. Des fois, la tête le sait comme auteur, mais l’interprète va nous apporter une lecture différente parce qu’il a une distance. C’est intéressant que l’interprète repose des questions sur le texte. Quand l’intention est plus claire, c’est sûr que le délivré est plus clair aussi pis il y a plus de présence; c’est là que tu t’aperçois que tu es en train de raconter quelque chose. Des fois, même les premières phrases d’une chanson nous donnent une piste incroyable ».

« Si vous voulez travailler votre art, travaillez sur vous autres »

Questionnée au sujet de ce qui rattache l’être à son art, voici avec quoi Marie-Claire Séguin a renchéri : « C’est très, très fin. Tchekov disait : « Si vous voulez travailler votre art, travaillez sur vous autres ». On est un. L’idée c’est que ça soit la même personne. Encore plus creux que ça, c’est la posture que tu as. Est-ce que tu te tiens droit? Est-ce que le langage est direct? Est-ce que t’es capable de regarder dans les yeux? Ça nous dit tout d’une personne. C’est d’essayer de réveiller le ventre, dans le fond; notre élan, notre feu. On est dans une culture où la tête prend beaucoup de place pis ça paraît quand tu chantes. Des fois les gens chantent l’idée de la chose au lieu de la chose. Ça fait une très grande différence dans la réception, dans le délivré. Il y a émetteur et récepteur. Il y a des fois où je suis obligé de dire : cette phrase-là, moi la première affaire que j’entends c’est ça, ça et ça. Si on va à l’essentiel, mon travail consiste à essayer que la personne devienne un peu plus présente et c’est en réveillant le corps que ça devient possible. Je dis souvent que la tête là-dedans, c’est la tour de contrôle. Elle est importante, elle va dire c’est quoi les vents, sur quelle piste atterrir et tout ça, mais moi ce qui m’intéresse, c’est le pilote. Dans le fond, c’est d’écouter son guts, d’écouter ce que dit son ventre ».

Lorsque je lui ai demandé si, en cette seconde année, des choses avaient changé ou si des formules gagnantes avaient été reprises, Marie-Claire Séguin a dit : « Mon travail est à peu près le même. Dans l’ensemble, parce que parfois je travaille avec des amateurs, parfois avec des professionnels, c’est de chercher la connexion. Ça, ça appartient à chacun. Moi là, où j’ai du plaisir dans mon travail, c’est trouver comment je peux faire sentir à la personne quand il y a quelque chose qui ne va pas. Moi, c’est par le corps, faque ça se peut pour eux que je leur demande de lancer les mots si l’interprétation est plus réservée. Sinon si quelqu’un chante tellement fort que tu ne comprends rien, c’est de le ramener vers quelque chose où il peut s’entendre et développer une intériorité. C’est du cas par cas, jusqu’à ce que la connexion avec la personne fasse qu’elle se sente de plus en plus sécure. J’aime beaucoup travailler en groupe, parce qu’en groupe, le monde s’assoit et voit les changements chez les autres. Quand tu es dedans, c’est plus exigeant parce que tu es en train de le faire, mais l’idée c’est qu’en voyant les autres travailler, il y a quelque chose qui se fait et le groupe soutient terriblement ».

En abordant ce que ça lui fait d’enseigner ces ateliers-là, Marie-Claire Séguin explique : « Je suis très reconnaissante de pouvoir faire de la transmission parce que c’est un métier que j’ai pratiqué pendant des années. Je l’ai pratiqué à travers mon corps faque il y a des choses que je sens facilement pour l’avoir vécu, même si c’est à des proportions différentes. Quand tu as fait le métier d’une façon physique et que tu n’as jamais arrêté de chercher, tu te rends compte aussi que les élèves t’en apprennent beaucoup pis qu’ils te font avancer aussi ».

Pour conclure, Marie-Claire Séguin a rappelé : « Si on suit notre voix intérieure, on finit par gagner notre vie, on finit par faire ce qu’on aime, on finit par se connaître, on finit par être de meilleurs citoyens, on finit par être un peu plus conscient de tout. Au final, tout part de la personne : la présence, l’écoute, la curiosité, prendre le temps, savoir c’est quoi nos conditions, c’est quoi vivre. J’aime bien revenir là, moi ».

À noter que la grande finale de cette 22e édition de Chante en français se tiendra gratuitement le 30 mai au Théâtre Plaza à Montréal.

Pour plus d’informations sur la 22e édition concours Chante en français

* Cet article a été écrit avec la contribution financière de Chante en français.

Crédit photo: Jean-Charles Labarre

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