Chroniques

Nick Cave & the Bad Seeds

Let Love In

  • Mute Records
  • 1994

La première prestation de Nick Cave and the Bad Seeds à laquelle j’ai assisté remonte à 1994 dans le cadre de la tournée Lollapalooza. J’avais alors 24 ans et c’était dans le contexte assez alcoolisé / narcotique de l’époque…

En plein après-midi caniculaire, après avoir essuyé les assauts sonores des bruyants Boredoms (groupe mythique japonais) et enfilé quelques bières, le jeune rockeur épris de sensations fortes a été subjugué par la performance aussi raffinée qu’électrisante de Cave et ses Bad Seeds. J’étais totalement hypnotisé par la présence du grand Nick; un magnétisme digne d’un prédicateur fou. Je connaissais la formation de manière superficielle, mais après ce concert, je me suis immergé à fond dans l’œuvre de ce grand groupe… pour ne plus jamais l’abandonner.

Quelques mois auparavant, en avril plus précisément, le 8e album de Nick Cave and the Bad Seeds paraissait : Let Love In; disque superbement écrit, composé, produit et mixé. Malgré les quelques pièces plus quelconques qui plombent à peine mon appréciation de ce disque (Jangling Jack et Thirsty Dog), cette création a permis au sextuor d’élargir son public sans perdre une seule once de crédibilité.

Réalisé par l’Australien Tony Cohen, Let Love In est le pont qui unit la première période du groupe – période abrasive et provocatrice – et la suivante, en plus d’être la parfaite synthèse des précédents albums, mais avec un son d’ensemble plus accessible et cohérent. C’est la première mouture des Bad Seeds qui accompagne Cave dans ce périple : Blixa Bargeld (guitare, voix), Mick Harvey (guitare, percussions, orgue, voix), Conway Savage (orgue), Martyn P. Casey (basse) et Thomas Wydler (batterie).

Musicalement, c’est l’instrumentation d’appoint qui propulse ce disque parmi les très bons crus de la formation. Que ce soit les cloches dans Loverman et Red Right Hand, les cordes superbement orchestrées par Mick Harvey, la section rythmique effacée, mais diablement efficace, gracieuseté du duo Wydler / Casey ou encore le violon de l’invité Warren Ellis – qui deviendra ultérieurement un membre à part entière des Bad Seeds et la muse sonore de Cave – rien n’a été laissé au hasard. S’ajoutent à cet arsenal des percussions exotiques qui confèrent à cet enregistrement une atmosphère évoquant un film d’horreur sophistiqué. Et que dire de cet incandescent solo d’oscillateur dans Red Right Hand; la grande réussite musicale de la carrière du groupe aux dires, semble-t-il, du bon Nick lui-même.

La voix de Cave prend également de l’amplitude. Plus caverneux, émouvant et cynique que jamais, le chanteur est nettement plus sûr de ses moyens. Le ton est inquiétant dans Do You Love Me ? et l’homme est déchaîné dans Loverman… que ces bons vieux salopards de Metallica ont osé reprendre ! De plus, et pour la première fois, le groupe fait appel à des chœurs féminins qui, étonnamment, crédibilise le virage domestiqué de la formation.

Côté littérature, Cave change d’approche. Plus simples, plus directs, moins hermétiques, les textes de ce grand auteur demeurent toujours aussi inquiétants et ambigus, malgré l’apparente simplicité de la facture. Dans Let Love In, nonobstant le penchant pop de la chanson, Cave balance cette tirade d’une beauté déroutante :

« Once there came a storm in the form of a girl

It blew to pieces my sung little world »

Let Love In

Il y a aussi Lay Me Low dans laquelle Cave évoque avec dérision sa propre mort. Dans Do You Love Me ? (part II), l’artiste s’est fortement inspiré d’une nouvelle intitulée The Jupiter Tree de l’auteur Peter Straub. Dans cette chanson, il raconte, avec quelques allégories dérangeantes, sur fond d’orgues et de violons narcotiques, la sodomie rémunérée d’un jeune garçon dans un cinéma… assurément le texte le plus déviant et le plus malaisant de la carrière de Cave.

Sans être le chef-d’œuvre incontestable de la carrière de Nick Cave and the Bad Seeds, Let Love In constitue une magnifique porte d’entrée pour quiconque voudrait plonger dans la discographie du groupe; une œuvre magistrale qui ne comporte pratiquement aucune faiblesse.

Un disque paru il y a 25 ans déjà et qui n’a pas pris une seule ride… comme la vaste majorité des productions de la formation !

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