Critiques

Barrdo

L’éternel retour

  • Poulet Neige
  • 2019
  • 71 minutes
7

En philosophie, le concept de l’éternel retour fait référence à cette idée selon laquelle l’histoire du monde se répéterait sans cesse, d’où le principe « rien ne se crée, rien ne se détruit ». Comme son titre l’indique, il y a un peu de ça dans le nouvel album de Barrdo, projet solo de Pierre Alexandre (Fuudge, Lac Estion, la liste Poulet Neige), qui explore l’enjeu du temps dans ses espoirs comme dans sa fatalité.

Paru il y a trois ans, le premier album de Barrdo, Apologie des états seconds, faisait montre d’un très grand niveau d’éclectisme dans ses influences, passant de la chanson pop-rock au grunge, le tout avec une bonne dose de psychédélisme. Les chansons de L’éternel retour font plus de place aux sonorités acoustiques, avec des arrangements plus peaufinés, notamment avec la présence de cordes et de cuivres. Les influences restent variées, mais cohérentes. On y entend un peu de Pink Floyd, du Harmonium, du Karkwa et aussi un peu de Sufjan Stevens dans les orchestrations.

D’une durée de plus de 70 minutes, L’éternel retour permet à Pierre Alexandre de jouer sur divers registres sans se sentir coincé par le temps. Le plat de résistance est sans contredit la chanson titre, qui dépasse les onze minutes, et qui évoque de façon assez évidente la musique de Swans. Le texte, avec la répétition de cette phrase « le voilà, notre avenir », nous renvoie à cette idée que nos vies futures seront semblables à notre vie actuelle, comme le suggère le principe de l’éternel retour.

On peut classer les chansons de L’éternel retour en deux catégories : celles qui se veulent plus exploratoires et celles qui adoptent le format chanson « classique ». Sur la puissante Ça y est, Barrdo s’abreuve au rock progressif des années 70, avec une première section qui rappelle King Crimson et un interlude plus pastoral qui rappelle Genesis. À l’autre bout du spectre, on retrouve des chansons pop-rock qui se veulent plus simples et accessibles, comme la ballade folk Moi aussi et l’excellente Juste avant, portée par une énergie à la Red Eyes de The War On Drugs et qui se termine sur un grand crescendo avec solo de guitare. Entre les deux, il y a de longs morceaux pop qui utilisent la répétition comme un effet de style. J’ai en tête l’épique Tôt ou tard mais surtout Elle, qui se termine sur un refrain entonné à l’infini. On pense (le clin d’œil aurait pu être plus subtil) au fameux Hey Jude des Beatles, ou bien à la finale de Si on s’y mettait, de l’album Soleil de Jean-Pierre Ferland.

En entrevue avec le site Rocknfool l’an dernier avant son passage aux Francouvertes, Pierre Alexandre avait expliqué son intérêt pour les structures répétitives et les variations d’intensité : « Ça laisse plus de place à l’introspection. Alors qu’avec une chanson constamment changeante, c’est divertissant, mais ça ne va pas te laisser beaucoup de temps pour méditer. » Là encore, on revient à la pensée d’Héraclite et cette idée que « la substance demeurant, seuls ses états changent ».

Rock expérimental, madrigal, chanson folk, pop des années 60… Barrdo ratisse tellement large qu’on y ressent parfois un manque de direction. Parce qu’il lorgne moins du côté du grunge et du stoner rock que son prédécesseur, L’éternel retour témoigne toutefois d’une plus grande cohésion. Mais puisqu’il est très long, il s’égare parfois et certains enchaînements brisent le ton. Le tout aurait sans doute mérité d’être resserré pour mettre davantage en valeur les morceaux les plus solides. Mais Pierre Alexandre (et ses bons amis, dont David Bujold de Fuudge, qui signe la réalisation) ont décidé qu’ils n’en feraient qu’à leur tête, et c’est très bien ainsi.

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