Chroniques

Raconte-moi ton disque: Daran

daranpress-2Voilà une chronique Raconte-moi ton disque qui s’est positionné à l’horaire en un temps record et pas avec n’importe qui! En effet, nous avons rencontré le créateur chansonnier d’origine française (résident maintenant au Québec) nommé Daran et qui a fait paraître, le 14 octobre dernier, l’excellent et frémissant Le monde perdu. Voilà un disque folk minimaliste aux antipodes de notre époque hyperactive/connectée et qui met à l’avant-plan la superbe voix de Daran. Au menu? Guitare folk, harmonica, textes poétiques d’une précision chirurgicale, gracieuseté majoritairement de l’acolyte Pierre-Yves Lebert. Oubliez le modernisme en toc, les digressions sonores et les paroles insipides, ce «monde perdu» est un disque intemporel interprété de façon sublime par Daran.

C’est par une journée pluvieuse (et un peu déprimante) que nous nous sommes rencontrés, Daran et moi, afin de réécouter ce disque. De mon côté, j’étais particulièrement impatient de réentendre cet album dans ce système de son/machine de guerre gentiment prêté pour l’occasion par Le Lab Mastering. Certaines publications faisaient référence à un disque «automnal» (est-ce la pochette qui a inspiré ce qualificatif douteux?), mais en ce qui nous concerne, Le monde perdu est une création certes mélancolique, mais qui renferme sa part de luminosité; l’espoir n’étant jamais trop éloigné dans les textes de Lebert. Donc, je vous propose la découverte, piste par piste, de ce disque bouleversant.

GENS DU VOYAGE

C’est durant cette prenante chanson portant sur l’exclusion de tous ces sans-papiers et les mouvements de population qui s’ensuivent qu’on a abordé la performance vocale de luxe offerte par Daran sur cet album. J’étais intrigué par la limpidité de la prise de son. Le musicien m’a confié qu’il a utilisé un microphone Neumann 47 Fet pour enregistrer sa voix… et manifestement, ça sonne!

GENTIL

Daran a colligé ce disque seul, agissant autant comme compositeur que réalisateur. Lors d’un processus d’enregistrement, il y a des décisions artistiques parfois difficiles à prendre. Daran m’a avoué que lorsqu’il réécoutait les bandes de ce disque, il évacuait toutes formes de sentiments afin de faire des choix objectifs au service de la création. Comme il le disait si bien, avec un sourire, lors de l’écoute de Gentil: «Pas de sentiment, quand j’enregistre!»

MIEUX QU’EN FACE

Sur cette belle chanson traitant de l’amitié entre hommes, je faisais la remarque à Daran que la progression d’accord me remémorait une chanson de la formation Wilco titrée One By One. Le musicien connaît bien la bande à Jeff Tweedy, mais m’avoue tout de go faire partie de ces compositeurs qui n’écoutent pas beaucoup de musique, préférant le silence et la quiétude.

LE MONDE PERDU

Chanson-titre dont le texte fut rédigé par l’ami Christophe Miossec. Ici, on a jasé de l’importance du bagage de connaissance acquis par Daran au cours de sa fructueuse carrière… et bien, notre homme se méfie comme la peste de la maturité obtenue au fil des années qui, selon lui, éloigne le créateur de son regard d’enfant, l’empêchant ainsi d’explorer des zones encore inconnues. Voilà peut-être le secret de la longévité et de la pertinence de Daran.

DES PORTES

Au cours de l’audition de cette pièce, je faisais la remarque à Daran que ça semblait tout naturel chez lui d’avoir un certain détachement par rapport à son œuvre. Tout sourire, Daran me rétorqua qu’il essaie tout simplement de croire qu’il n’est pas en train «de jouer sa vie» lorsqu’il est en mode création… mais que ça demeure quand même difficile pour lui de relativiser tout ça!

RIEN NE DIT

La chanson préférée à Daran… et c’est la mienne également! On aborde la méthode de travail préconisé pour l’élaboration de ce disque. Daran ne retouche jamais les textes de ses auteurs et préfère actuellement travailler avec un texte complètement achevé afin d’être forcé de sortir de sa zone de confort mélodiquement parlant, plus particulièrement au niveau du phrasé et de la cadence des mots. C’est cette rythmique littéraire qui constitue l’un des nombreux attributs de ce disque.

L’EXIL

Un texte de Moran qui voue une admiration sans bornes à Lebert. Chanson qui fait référence clairement à l’expatriation de Daran au Québec. L’idée de ce morceau a germé dans un trajet en taxi et Daran a ainsi passé la commande à son ami. Le sympathique musicien m’avouait que comparativement à plusieurs immigrants, son exil fut beaucoup plus simple puisque la barrière de la langue n’existait pas… et que c’est ici, en premier lieu, que Daran a fait sa marque avant la reconnaissance internationale.

TCHERNOBYL

Sur cette pièce interprétée infailliblement, Daran nous susurre ceci: «Des enfants débiles pataugent dans la boue/Et leurs cris inutiles tapent aux tempes comme des clous» en référence au légendaire désastre nucléaire/écologique qui eut lieu en 1986. Tout au long de l’album, la rythmique des mots est atypique et l’artiste admet qu’il prend un soin méticuleux, quasi mathématique, afin de ne jamais répéter le même motif mélodique. On jase également de Bruce Springsteen qui, derrière la simplicité apparente de ses chansons, effectue un travail d’orfèvre en ce qui concerne le pouls des mots.

VALENTINE ‘DEAD

Je fais la remarque à Daran qu’il y a une superbe envolée vocale à la Bertrand Cantat à mi-parcours de cette pièce détenant une progression d’accords menaçante et hypnotique. On s’est mis à jaser de la carrière de Noir Désir et nous étions en parfait accord pour dire que le plus grand groupe rock français de l’histoire, c’est envers et contre tous… Noir Désir, et ce, malgré le déplorable incident que l’on connaît tous.

UNE SORTE D’ÉGLISE

Chanson de Daran (parue sur Pêcheur de pierres) interprétée en compagnie de Louis-Jean Cormier dans le cadre de l’émission Studio 12 et c’est cette version que notre homme a transportée en tournée. Puisque le public était fendu à ses lèvres chaque fois qu’il la jouait, Daran a décidé de l’inclure sur l’album. Encore une fois, un choix tout à fait cohérent et justifié.

LE BAL DES POULETS

L’autre chanson de prédilection de Daran et qui a pour sujet le drame humain/social vécu par une employée d’un abattoir qui perd son gagne-pain après y avoir consacré la majeure partie de sa vie. En discutant avec Daran, je fais référence à la relation artistique fusionnelle qui unit le musicien à Pierre-Yves Lebert. Daran propose cette image «d’auteur-compositeur-interprète à deux têtes» afin de caractériser ce lien. De plus, il m’avoue que 75% des versions consignées sur cet album sont des premiers essais concluants.

Il y a des rencontres que l’on peut qualifier d’exceptionnelles. En voilà une! La chance de rencontrer un compositeur de cet acabit et qui accepte de confier certains petits secrets sonores, littéraires et créatifs est un privilège que j’ai apprécié au plus haut point. En plus d’être une personne humble, sympathique et sans aucune espèce de prétention, Daran catapulte un disque qui fera office de phare dans un corpus chansonnier passablement garni.

Tout aficionado de chanson française devrait avoir en sa possession cet album. En passant, Le monde perdu paraît en France le 3 novembre prochain. Message à nos chers cousins: vous entendrez l’Amérique dans ce disque, mais vous reconnaîtrez également la singulière signature vocale de l’artiste qui n’a jamais aussi bien chanté que sur cette offrande.

Merci Daran, tu as fait ma journée!

lecanalauditif.ca/daran-monde-perdu/

www.lelabmastering.com/fr/

www.daran.ca

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