Critiques

Daran

Le monde perdu

  • Le mouvement des marées
  • 2014
  • 51 minutes
8
Le meilleur de lca

Daran_pochetteEn 1995 paraissait Dormir dehors. Daran est le créateur de cette superbe chanson qui a obtenu à l’époque l’approbation du plus grand nombre. En 2012, le Québécois d’adoption faisait paraître, L’homme dont les bras sont des branches; une conception sonore résolument rock. Daran rêvait depuis de nombreuses années à un album folk, totalement dépouillé, qui mettrait de l’avant son indéniable talent de songwriter, accentué par ce grain vocal reconnaissable à mille lieues. Voilà que survient Le monde perdu.

Au menu? Guitare folk, harmonica, textes introspectifs incorporant des observations sociétales pertinentes et nimbées de cette voix sincère si distinctive. Ça démarre avec une chanson complètement bouleversante, portant sur les mouvements de population et l’itinérance qui s’ensuit, intitulée Gens du voyage. Une grande chanson sur laquelle Daran fait référence à l’exclusion vécue par tous ces sans-papiers qui vagabondent sans trouver de domicile fixe: «Gens du voyage/Nous on est pas du voyage/Du voyage/D’ailleurs sommes-nous vraiment des gens/Du voyage/Dans ce comique embouteillage».

Tout fervent de musique francophone devra se procurer Le monde perdu, tant l’assemblage de chansons présentées est d’une sincérité désarmante et d’un niveau inégalé. Daran raconte des histoires tristes/lumineuses avec éloquence. Le créateur chansonnier murmure ses ritournelles avec une intensité maîtrisée, toute en retenue, qui évoque parfois le travail vocal de Bertrand Cantat (voir les inflexions vocales frémissantes sur Valentine’dead) sans le déchaînement débordant de l’ex-Noir Désir. Daran est intense, mais complètement serein.

Autre moment fort? La sublime Une sorte d’église (joliment détournée par Louis-Jean Cormier) sur laquelle Daran affirme ceci: «Je nous veux sans frontière sans limites et sans loi/Je veux te respirer te vivre et vivre en toi/Et croire qu’avant nous tout ça n’existait pas». Daran exprime de vibrante manière cette envie de communier physiquement avec l’être aimé… et d’une manière qui fait honneur au sexe masculin. Musicalement, le dépouillement sonore favorise l’écoute des textes et des mélodies concoctées par Daran; un disque aux antipodes de «notre époque de bric de broc qui jamais ne doute et constamment triche»…

En contrepartie, vous devrez vous arrêter complètement afin de véritablement apprécier ce magnifique disque, sinon vous passerez tout simplement à côté. Votre remué scribe a profondément affectionné la chanson-titre Le monde perdu, la simplicité de Mieux qu’en face (une rencontre entre vieux potes déstabilisée par l’arrivée de la gent féminine…), la significative Tchernobyl, l’émouvante Rien ne dit ainsi que la conclusive Le bal des poulets. Fait à noter, Daran a fait appel à son complice de toujours Pierre-Yves Lebert en ce qui concerne les textes. Christophe Miossec et Moran ont accompli le même boulot pour les morceaux Le monde perdu et L’exil.

Oubliez le modernisme, les divagations sonores et les paroles insignifiantes, on est devant un disque magnifiquement intemporel, interprété de façon magistrale par Daran. Avec Le monde perdu, Daran s’élève au niveau des grands de la chanson française, car cette élaboration met parfaitement en lumière l’immense talent de mélodiste de l’artiste appuyé par des textes révélateurs et poignants. Beau. Très beau.

Ma note: 8/10

Daran
Le monde perdu
Le mouvement des marées
51 minutes

www.daran.ca

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