Concerts

Lingua Ignota à la Société des Arts Technologiques (SAT), le dimanche 19 décembre 2022

Hier soir, à la Société des Arts Technologiques, Kristin Hayter, alias Lingua Ignota, était de passage dans le cadre de sa tournée nord-américaine titrée pour l’occasion Repent Now.

En 2019, Lingua Ignota nous proposait un puissant long format – son troisième en carrière – intitulé Caligula. Un disque émouvant qui plongeait l’auditeur dans une mixture inventive de black métal, de folk gothique et de néo-classicisme. Deux ans plus tard, elle récidivait avec le superbe Sinner Get Ready qui explorait, en partie, la musique traditionnelle appalachienne.

L’œuvre de Kristin Hayter est marquée par les stigmates des humiliations répétitives qu’elle a vécues pendant une importante partie de son existence. Récemment, elle a annoncé qu’elle mettait fin à Lingua Ignota dès la conclusion de cette tournée. Elle déclarait alors ceci : « Ce n’est pas sain pour moi de vivre mes pires expériences encore et encore à travers Lingua Ignota. »

Les attentes étaient immenses pour ce concert… et personne n’a été déçu !

Kristin Hayter, a capella et seule au piano

Vers 20h40, les lumières se ferment et l’artiste, vêtue d’une robe diaphane de couleur verte, passe à travers la foule assez compacte pour s’installer doucement sur une petite scène éclairée par deux lampes sur pied évoquant de longs cierges pascaux. A capella, elle entame O Death, une pièce issue du répertoire traditionnel états-unien. Silence. Toutes et tous sont subjugués par la voix magnifiquement réverbérée de Hayter.

Ensuite, elle se dirige sur scène et s’installe à son piano pour interpréter quatre autres chansons traditionnelles dont la conclusive Jesus’ Blood Never Failed Me Yet du contrebassiste et compositeur Gavin Bryars. Hayter a enchaîné ces quatre chansons sans s’adresser au public pour finalement nous lancer un simple « thank you ». Pause.

Kristin Hayter bouleverse

Après un court répit, l’Américaine s’est installée à la droite de son piano, encore une fois éclairée par ces longues bougies — qu’elle déplaçait elle-même tout au long de la prestation — afin de nous présenter la deuxième portion de son concert.

Cette fois-ci, c’est à l’aide d’une présonorisation qu’elle a parcouru les pièces des deux albums susmentionnés en introduction. Pour recréer les murs de sons qu’elle inflige à ses fans sur disque, il aurait fallu recruter de nombreux accompagnateurs. Faute de moyens, la dame a probablement préféré miser sur l’interprétation de ses chansons que sur la performance musicale en tant que telle. Cela dit, l’auteur de ces lignes a été remué jusqu’à la moelle.

Appuyée par des séquences vidéo mélangeant habilement les paysages lugubres de la campagne appalachienne à des images troublantes de rituels religieux, Kristin Hayter chantait comme si sa vie en dépendait. Dans ce genre de prestation, la surenchère d’émotions et la théâtralité ampoulée ne se cachent jamais bien loin. Pas de ça chez Lingua Ignota. Une sorte d’élégance et de retenue accompagnait chacun des mouvements de l’artiste laissant ainsi place à une émotivité pure et sentie.

Le martèlement pianistique, combiné à la voix éplorée de Hayter dans The Order of Spiritual Virgins, a tétanisé le public qui n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Or, les deux moments forts du concert, ceux où l’intensité était à son paroxysme, sont survenus dans The Solitary Brethen of Ephrata, pièce conclusive de Sinner Get Ready, et la frémissante Pennsylvania Furnace tirée du même album. J’ai vu des larmes coulées sur les joues de nombreuses personnes…

En rappel, elle nous a gratifiés d’une version pianistique d’un classique de Dolly Parton, Jolene. L’interprétation de cette chanson prend un tout autre sens dans le corps et la voix de cette grande dame.

Avec un simple portable, un piano, des éclairages minimalistes et des séquences vidéo déroutantes, Lingua Ignota nous a offert l’une des plus poignantes prestations auxquelles on a assisté dans notre longue vie de mélomane.

D’être témoin de l’affranchissement de toute la violence abjecte que cette artiste a subie, en temps réel, est l’une des expériences artistiques les plus significatives, troublantes et consolatrices à la fois, vécues par votre modeste scribe. Et l’exploit réside en cette sorte de retenue et de pudeur dont elle a fait preuve tout au long de la prestation qui crédibilise ainsi l’ensemble de sa démarche.

Lingua Ignota nous a tout simplement offert un concert d’anthologie.

Merci, Kristin Hayter.

Liste des chansons :

  1. O Death
  2. Satan’s Jeweled Crown
  3. May Failure Be Your Noose
  4. Fragrant Is My Many Flower’d Crown
  5. Jesus’ Blood Never Failed Me Yet
  6. Many Hands
  7. The Order of Spriritual Virgins
  8. Repent Now Confess Now
  9. Man Is Like Spring Flower
  10. Nothing but the Blood of Jesus
  11. I Who Bend the Tall Grasses
  12. The Solitary Brethren of Ephrata
  13. Faithful Servant Friend of Christ
  14. Perpetual Flame of Centralia
  15. If the Poison Won’t Take You My Dogs Will
  16. Pennsylvania Furnace
  17. Jolene

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