The Afghan Whigs
How Do You Burn ?
- Royal Cream
- 2022
- 40 minutes
En 2014, quand le songwriter états-unien Greg Dulli a ramené à la vie son véhicule créatif, l’auteur de ces lignes doutait du bien-fondé de ce retour au jeu pour The Afghan Whigs. Il s’était écoulé pas moins de 16 années depuis la parution du dernier long format de la formation, 1965.
Avec Do The Beast, le quintette formé en 1986 à Cincinnati, Ohio, faisait table rase. Seul l’ami d’enfance et bassiste, John Curley, s’était alors joint à l’aventure. Tous les autres, dont l’inventif guitariste Rick McCollum, n’ont pas daigné retourner dans l’univers tourmenté de Dulli. En 2017, cette nouvelle mouture des Whigs nous proposait In Spades; une création « passionnelle » comme seul Dulli en a le secret.
Après 5 ans d’absence depuis le plus récent effort, Dulli et ses acolytes sont de retour dans un contexte assez particulier. En effet, le nouvel album a été enregistré à distance pour les raisons que l’on connaît. Le vétéran rockeur a même dû annuler la tournée pour son album solo, Random Desire (2020). Plus important encore, l’auteur-compositeur et poète américain, Mark Lanegan, est récemment décédé des suites de la COVID-19. Lanegan était le frère de son de Dulli. En 2008, les deux torturés ont même lancé l’excellent Saturnalia sous le vocable The Gutter Twins.
C’est Lanegan lui-même qui a donc prêté le titre de ce nouveau long format. Intitulé How Do You Burn ? — une façon originale pour Lanegan de demander « que veux-tu dire par ça ? » — Dulli, John Curley (basse), Jon Skirbic (guitare), Patrick Keeler (batterie), Rick Nelson (guitare) et Michael Schneeberger (synthés) nous présentent le meilleur album des Whigs depuis leur réincarnation.
Encore une fois, le musicien aujourd’hui âgé de 57 ans nous relate ses traumatismes relationnels avec une honnêteté et un autodénigrement qui, comme toujours, déstabilise. Dans Jyja, ce sex-symbol du rock alternatif nous dévoile sans ambages ce qui a tout l’air d’une dépendance affective tenace :
I know the misbehaviour and I know what I like
I’m copping a feel as I reveal my surreptitious appetite
Look for the feminine
She is the medicine
I like to know where I’m going
– Jyja
Encore une fois, dans Concealer, Dulli décontenance avec sa manière enflammée — et quelque peu machiste — d’envisager la séduction :
I’m gonna take you on a mystery ride
Hustle for the corner and slip over the side
Ancient was the light like a song on a stereo
– Concealer
Musicalement, on retrouve sur How Do You Burn ? tout ce qui a participé à l’édification de l’enviable réputation des Whigs : une lutherie recherchée (Wurlitzer, cordes, slide guitar, boîte à rythmes, etc.), les habituels ascendants soul et R&B et, bien entendu, ce puissant rock joué sans compromis.
L’entrée en matière est éloquente quant à la force de frappe que peut prodiguer la formation. I’ll Make You See God est la chanson la plus lourde de tout le répertoire du désormais sextuor. Or, la chanson hautement frémissante de ce How Do You Burn ? est sans contredit Domino and Jimmy sur laquelle on assiste au retour de Marcy Mays, celle-là même qui nous avait bouleversés dans My Curse, pièce-phare de ce grand disque tordu des Whigs qu’est Gentlemen (1993). Comme si Dulli tentait de boucler la boucle d’une relation amoureuse tumultueuse… On salue également l’apport vocal de feu Lanegan sur Take Me There et Jyja et In Flames remémore partiellement la sublime Faded qui concluait de manière poignante l’album Black Love (1996).
Évidemment, cette version modernisée des Whigs est nettement moins nerveuse et frénétique que celle des albums Gentlemen et Black Love. Toutefois, Greg Dulli est l’un des rares doyens du rock qui conserve sa pertinence intacte et ce n’est pas étranger à cet alliage singulier de rock sensuel, de soul et d’électro que lui seul détient.