Critiques

Greg Dulli

Random Desire

  • Royal Crown
  • 2020
  • 37 minutes
7,5

Greg Dulli est le meneur de l’une des formations parmi les plus mésestimés du rock alternatif états-unien : The Afghan Whigs. Grâce à une inventive mixture de rock garage, de R&B, de soul et de grunge, auréolé de la voix grinçante et souvent inharmonieuse du compositeur, le groupe originaire de Cincinnati, Ohio, a conçu deux grands disques : Gentlemen (1993) et Black Love (1996).

À l’époque, les Whigs présentaient des concerts mémorables qui se distinguaient par quelques interprétations issues du répertoire Motown (Papa Was a Rolling Stone des Temptations, entre autres). Mais d’abord et avant tout, c’est l’indéniable charisme de Dulli qui singularisait les prestations de la formation. Une redoutable bête de scène. Fort prisé par ses pairs, le musicien cumule aussi un grand nombre de collaborations (The Gutter Twins, Backbeat, etc.) en plus d’avoir mis sur pied le projet The Twilight Singers.

Malgré cette hyperactivité créative, Dulli n’avait jamais pris le temps d’écrire et de composer des chansons en mode esseulé. Dans sa liste de réalisations, il pourra maintenant cocher cette case. La semaine dernière, le vétéran nous proposait Random Desire; un album dans lequel il explore les thèmes habituels qui lui sont chers : la fatalité, la foi, les dérèglements chimiques du cerveau et la détresse affective.

Fidèle à son habitude, Dulli réussit autant à nous prendre aux tripes qu’à nous faire taper du pied. Random Desire est un disque intense et d’une honnêteté implacable; une version unique et modernisée de ce que l’on appelle le « classic rock » américain.  Ceux qui vénèrent les Whigs retrouveront intact le style chansonnier de Dulli, même si on regrette les irruptions dissonantes du premier guitariste de la formation, Rick McCollum. Et si la plupart de ses congénères issus des années 90 versent dans l’auto-parodie, Dulli, grâce à signature vocale et sonore incomparable, demeure parfaitement crédible.

Il y en a pour tous les goûts sur ce Random Desire dans la mesure où le spleen représente une source de réconfort pour vous. It Falls Apart et Scorpio nous remémorent les Whigs de l’album Black Love. A Ghost fait penser aux Bad Seeds de Let Love In. Marry Me, Black Moon et Slow Pan sont trois bijoux d’Americana orchestral et Dulli nous écorche magnifiquement les oreilles avec l’explosive The Tide.

La vie est profondément injuste. Les efforts que l’on fournit à « réussir » ne sont jamais vains, même si parfois le désespoir nous cloue au plancher. Mais chose certaine, la carrière quasi irréprochable de Greg Dulli aurait mérité un rayonnement plus accentué… nettement plus accentué.

Avec ce Random Desire, le vieux routier nous émeut jusqu’à la moelle encore une fois.