Critiques

The Antlers

Green to Gold

  • Anti- Records
  • 2021
  • 48 minutes
7,5

Ils sont loin les jours où The Antlers étaient un projet solo de Peter Silberman, qui faisait tout lui-même. En 15 ans de carrière, le groupe a grandi et sa musique a évolué vers quelque chose de plus élaboré, combinant l’indie folk et la dream pop. Devenue un duo, la formation new-yorkaise lançait récemment Green to Gold, un album d’une grande beauté, apaisant, et qui cultive la patience et la contemplation.

Green to Gold nous arrive sept ans après l’excellent Familiars, qui délaissait un peu les expérimentations électroniques du précédent Burst Apart (2011) au profit d’une approche toute en retenue, à la fois épurée et pourtant ambitieuse sur le plan de la puissance émotionnelle. Évidemment, un délai de sept ans ne représente pas une éternité, mais on a quand même l’impression que le groupe revient de loin. Depuis la parution de Familiars, Silberman a souffert d’épuisement et de problèmes auditifs, et s’est investi à fond dans la méditation et le jardinage, en plus de lancer un album solo, Impermanence (2017), qui utilisait le silence comme matière de base.

Mais le plus grand changement depuis Familiars demeure le départ du trompettiste Darby Cicci, qui jouait un rôle clé dans le son des Antlers et qui les différenciait d’autres groupes indie cultivant eux aussi le calme et la douceur. À priori, le départ de Cicci peut paraître significatif, mais Green to Gold confirme que Silberman demeure le cœur et l’âme du groupe, non seulement à cause de sa voix haute-perchée, mais aussi à cause de sa plume lucide. Même si elle est plus subtile, la contribution du batteur Michael Lerner n’en est pas moins importante, avec son jeu nuancé.

Si Familiars était teinté d’une certaine esthétique jazz, Green to Gold est ancré dans la tradition folk, non pas celle des chansons à texte, mais celle, plus ancienne, qui considérait que la musique se devait d’être ancrée dans son territoire, dans ses grands espaces. Ce côté pastoral s’exprime notamment par le recours accru aux guitares acoustiques (peu présentes sur les albums précédents) et par les choix d’harmonies et de progressions d’accords qui donnent une impression d’immensité.

À l’époque où des études démontrent que les chansons pop ont des intros de plus en plus courtes pour répondre aux impératifs des plateformes d’écoute en continu, Green to Gold fait le pari opposé en démarrant avec dix secondes de silence et une pièce instrumentale de surcroît, la délicate Strawflower, qui installe le climat pour la suite. Partout sur l’album, la formation fait preuve d’une grande retenue, préférant miser sur des refrains presque chuchotés (comme sur la superbe Wheels Roll Home) plutôt que sur de grands crescendos pour émouvoir l’auditoire. Sur Porchlight, on peut presque s’imaginer sur le bord d’un feu de camp, par une douce soirée d’été.

Le thème de la nature est omniprésent sur l’album. Ça s’entend d’abord dans le choix des effets sonores qui assurent la transition entre les pièces : une légère brise par-ci, le chant des criquets par-là, le tout capté près de la résidence de Silberman à Brooklyn. La chanson-titre, sans contredit la plus près du précédent Familiars sur le plan sonore, se veut littéralement une ode au changement des saisons, tandis que l’album s’achève sur l’instrumentale Equinox, aussi évocatrice que son titre. Il y a aussi des moments poignants, sur Just One Sec entre autres, où la voix de Silberman se fait touchante de vulnérabilité en chantant : « For just one sec, free me from me ».

Green to Gold peut parfois apparaître légèrement linéaire sur le plan des atmosphères. Depuis le magnifique Hospice (2009), la formation semble en effet avoir un parti pris pour les rythmiques similaires. Là où plusieurs pourraient y déceler un manque de variété, j’y vois un choix conscient de privilégier la lenteur et la simplicité à la quête d’artifice. Un disque tout indiqué pour enfin dire au revoir à l’hiver.