Critiques

Sneaks

Happy Birthday

  • Merge Records
  • 2020
  • 27 minutes
7

De son vrai nom Eva Moolchan, l’Américaine Sneaks a acquis une solide réputation dans les milieux underground avec son mélange improbable de hip hop, de post-punk et d’électro. Sur son nouveau disque Happy Birthday, son troisième pour l’étiquette Merge et son plus riche sur le plan de la production, elle alterne habilement entre ces trois univers, sans renier l’approche davantage bricolée de ses débuts.

D’une durée d’à peine 27 minutes (Moolchan a toujours eu un petit penchant pour la concision), Happy Birthday nous arrive seulement un an et demi après le précédent Highway Hypnosis, sur lequel la multi-instrumentiste s’amusait déjà à repousser les frontières des genres, donnant dans le hip-hop minimaliste, mais avec une approche post-punk centrée sur les structures répétitives. Si sa démarche semblait forcée par moments, on y entrevoyait un beau potentiel pour la suite des choses.

À ce chapitre, Happy Birthday constitue certainement un pas en avant pour Sneaks, avec une meilleure intégration des sonorités électroniques, qu’il s’agisse des boîtes à rythmes ou de lignes de basse dansantes qui évoquent par moments un groupe comme LCD Soundsystem (surtout sur l’excellente Faith, peut-être la plus réussie sur tout l’album). Les chansons sont courtes (la plupart ne franchissent même pas la barre des trois minutes) et construites autour d’un motif répété en boucle. Son univers se rapproche parfois de la musique de club, avec une forte intégration d’éléments issus de la culture house (sur Mars in Virgo) ou même techno (sur Sanity), mais toujours dans une volonté d’expérimentation sonore et sans renier sa signature.

L’un des aspects les plus intéressants de la musique de Sneaks demeure son débit et cette façon de livrer les textes dans l’urgence, avec un ton saccadé qui se marie bien avec les différentes boucles rythmiques employées. Issue de la culture du spoken word, Moolchan évite généralement les structures de type couplet-refrain et mise plutôt sur une instantanéité proche de l’esprit post-punk de groupes fondateurs du genre comme Pere Ubu ou Cabaret Voltaire. Le résultat est volontairement anxiogène et oppressant, rappelant par moments le style d’une Marie Davidson.

Ainsi, sur l’énergique, mais un brin exigeante Slightly Sophisticated, elle débite avec insistance les mêmes vers d’une banalité apparente, mais qui témoignent peut-être de l’angoisse existentielle d’une jeune musicienne encensée pour sa pop sophistiquée, mais en même temps critiquée pour le côté hermétique d’une telle proposition :

« I’m not overrated, I’m not underrated

I’m just slightly sophisticated ».

Slightly Sophisticated

Plus loin, sur le brûlot This World, elle aborde de front sa réalité de musicienne noire au sein d’une industrie blanche :

« If you can’t organize your mind and see me on your side

That isn’t my fault, but yours

Totality of society

Totality, my vitality ».

This World

Happy Birthday n’est pas sans défauts. La concision est une arme à double tranchant et certains titres manquent de substance (notamment Do You Want to Go out Tonight en ouverture), tandis que d’autres apparaissent inutilement touffus (Winter Weather). Mais dans l’ensemble, Sneaks parvient à concilier son désir d’une production plus raffinée sans perdre le mordant qui caractérisait son album It’s a Myth (2017), que je considère encore comme son meilleur. Bref, une proposition audacieuse qui ratisse large, et qui érige la monotonie et la répétition en véritables vertus.

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