
Sister Ray
Believer
- Royal Mountain Records
- 2025
- 35 minutes
Voici une sortie d’avril aux teintes automnales. Une œuvre empreinte de langueur, qui « résonne avec la certitude que la confiance en soi croît à travers les fissures de l’inconfort » (traduction libre). À insérer entre vos albums de Hurray for the Riff Raff, Lucinda Williams, Cat Power.
Sister Ray est le projet folk rock d’Ella Coyes. Believer a été coréalisé à Brooklyn avec l’acolyte Jon Nellen (qui a également mixé), couvrant ensemble presque toutes les guitares, synthés, piano, batterie, basse et percussions. Contrairement à la majorité des enregistrements modernes, tout fut capté sans métronome, « parce que je voulais seulement jouer de la musique ». Même que le processus fut poussé encore plus loin : Ella et Jon ont joué les bases des chansons en studio, jusqu’au moment de sentir que c’était la bonne prise, sans rien y corriger par la suite pour en préserver l’authenticité, pour seulement ensuite en étoffer l’instrumentation (ou pas). La justesse de l’émotion du moment prime parfois sur la qualité sonore, qui n’est pas déficiente, mais qui reste plutôt dans une esthétique lo-fi et une simplicité volontaire. Si quelques guitares grattent plus fort à quelques endroits, tout est interprété de façon assez douce. Même les saxophones d’Isaiah Barr semblent soufflés de manière à ne pas réveiller le voisinage. Parmi les personnes ayant collaboré aux morceaux, impossible de ne pas remarquer la (discrète) présence, sur quatre chansons, du guitariste Marc Ribot (Tom Waits, Alain Bashung, etc etc etc).
Chacune des onzes pièces, composées en l’espace de deux mois, voire terminées en studio, porte à la rêverie, peint des images aussi infimes qu’infinies. Un folk électrique aérien, mid-tempo, sobre et profond à la fois, enveloppé de réverbération. Les textes transcrivent parfaitement les états d’esprit d’Ella, de doutes en certitudes. Les questionnements et les étourdissements amoureux des débuts, les réalisations des fins de relations. Unfolding parle de ces étourdissements, la voix accompagnée d’une seule guitare acoustique : « I kissed you first / drunken and in public / my youth was apparent / mostly in my boldness / and you drove and drove and drove / where unto I’d never know. »
L’artiste habite Toronto depuis quelques années, mais on sent bien les origines albertaines; la plaine et les grands espaces, la nature, les arbres. Des éléments oniriques ou hallucinés qui reviennent tout au long, au propre comme au figuré. Abstraction dans les paroles, dépossession, un dépouillement où comptent seulement la présence (ou l’absence) de l’autre, de soi.
Alynda Segarra ne renierait pas les excellentes Animal Thing et Magic. La rythmée Wings reste en tête et offre un des nombreux moments forts: « If I had wings I would use them pretty soon / I could tell that you were wasted even in a foreign language / you stare at stars / I call out constellations ». La chanson-titre donne le ton à tout ce qui s’ensuit : « Waiting to be saved by someone who needs saving / I’d try anything once to be a believer ».
Diamonds en finale au piano vient clore ce récital intime de façon encore plus intime, sur un accord non résolu. Avec une touche de magie, de conjuration. « How can you deny when you make diamonds with your hands / what good do my protections do then / I’ve got a canker the size of every acre of land we had ».
Une proximité avec Sister Ray qui dure le temps d’onze chansons. Un album de soirée douce-amère.