Critiques

Ryley Walker

Deafman Glance

  • Dead Oceans Records
  • 2018
  • 41 minutes
7

J’ai connu la musique de Ryley Walker par l’entremise de l’album Primrose Green (2015). Un excellent disque de jazz-folk prodigieux évoquant à la fois Nick Drake, Mahavishnu Orchestra, Tim Buckley et Bert Jansch. Une entrée en matière percutante. Par la suite, le virtuose chicagoain a fait confiance à Leroy Bach (claviériste de Wilco) pour la réalisation de l’album Golden Sings That Have Been Sung (2016). Un virage indie-rock assumé, mais qui demeurait musicalement toujours aussi tortueux. L’an dernier, le virtuose unissait ses forces avec le guitariste expérimental Bill McKay pour nous offrir SpiderBeetleBee. Un autre bon disque de la part de Walker.

Le 18 mai dernier, l’instrumentiste revenait à la charge avec un nouvel album intitulé Deafman Glance; disque sur lequel l’artiste poursuit son virage rock amorcé avec son plus récent effort en mode solo. Cette fois-ci, Walker ne conserve que très peu de choses provenant du folk jazzistique de Primrose Green; préférant tourner son regard vers un rock à la Wilco et l’indie-rock labyrinthique à la Grizzly Bear, tout en conservant les ascendants jazz qui l’ont toujours caractérisé. Probablement l’album le plus « lourd » de la carrière de Walker, mais on est très loin d’une création purement rock.

Ce qui distingue nettement ce Deafman Glance de Golden Sings That Have Been Sung est sans contredit l’approche vocale de Walker. Plus assuré, plus harmonieux, misant pleinement sur sa voix de baryton, Walker, le chanteur, fait un pas de géant quant à sa performance mélodique. Côté texte, le parolier demeure toujours aussi hermétique et un brin malhabile, mais on n’écoute pas ce créateur pour son talent littéraire, mais plutôt pour ses aptitudes d’instrumentiste.

À vrai dire, cette nouvelle production est assez intéressante, mais il manque ce je-ne-sais-quoi d’explosif et d’un peu fou qui définissait ses premiers efforts. Par son penchant fortement « modéré », Deafman Glance ne se différencie pas assez de ses semblables pour marquer les esprits. Dans ces conditions, je préfère me tourner vers un groupe comme Grizzly Bear pour pleinement apprécier ce genre musical. Néanmoins, Walker est tout simplement incapable de médiocrité et ce nouveau chapitre est tout à fait estimable.

Quelques pièces valent le détour. Les accords dissonants et jazzistiques dans Accomodations forcent Walker à nous proposer une approche mélodique plus singulière qu’à l’accoutumée. La conclusion de Can’t Ask Why n’a rien à envier aux meilleurs moments de Wilco. Expired est étonnamment dépouillé ce qui laisse entrevoir une sensibilité chez Walker qui trop souvent est camouflé derrière la virtuosité. Dans l’instrumental Rocks On Rainbow, on retrouve Walker, le guitariste folk, à son meilleur.

Ceux qui affectionnent ce jeune surdoué ne seront pas déçus par Deafman Glance. Un peu plus de délire sonore aurait potentiellement amenuisé cet effet de linéarité ressenti tout au long des auditions accordées à ce disque, mais dans l’ensemble, Ryley Walker réussit encore à nous prouver que son art s’incarne dans la durée.