Critiques

Princess Nokia

Everything Sucks

  • Indépendant
  • 2020
  • 25 minutes
7

Acidulée, exagérée, menaçante, voilà comment décrire le personnage que Princess Nokia propose dans Everything Sucks, le penchant sombre de la galette double qu’elle a sortie en février. Le rythme est donné dès l’ouverture, alors que les cymbales typiques du trap surexcité survolent les basses profondes. Pas question de faire la paresse au parc comme dans Everything Is Beautiful, Nokia enfonce ses lignes dans nos crânes à coups de botte d’acier.

L’arme favorite de la rappeuse pour éliminer la compétition est sa voix. Malgré l’influence marquée du rap d’Atlanta dans l’agressivité sourde des rythmes, le mixage met toujours de l’avant la voix de cette princesse originaire d’Harlem. Sa rapidité sur Gross rappelle d’ailleurs le Grime britannique avec ces MC’s à la prosodie effrénée. Elle est tout aussi à l’aise, et incisive en ogresse pendant Crazy House ou sur la ritournelle dérangée Fee Fi Foe, qui contient tout de même une finale délicate : une prière demandant de l’aide à Dieu pour s’accepter tel qu’elle est.

« I know I’m fly, I know I’m cute
Bitches clout chase and they act hella rude
My priorities straight, I don’t know about you
Is that VETEMENTS? Yves Saint-Laurent?
Is it Off-White or COMME des GARÇONS?
My imagination, I do what I want
If I look broke ’cause I don’t give a fuck »

Balenciaga

Il y a tellement de voix féminines fortes et populaires dans le rap à l’heure actuelle. Elles affirment une sexualité libérée en utilisant à leurs avantages les codes d’une industrie marquée par la misogynie. Nokia veut se faire entendre dans ce mouvement féministe. Elle renverse les codes avec I Like Him alors que c’est l’homme qui est carrément « objet ».

Même exubérance divertissante avec Balenciaga alors qu’elle décrit son style éclectique qui n’a pas besoin des marques de luxe pour attirer l’attention. Ce sont des chansons typiques du hip-hop avec de l’orgueil qui dégouline de chaque syllabe. Le personnage démesuré a pourtant des craques au travers desquelles on peut entendre l’incertitude. Plutôt que de nier qu’elle se trouve repoussante ou incapable, comme ça peut tous nous arriver, elle en fait des œuvres percutantes et amusantes. Sa féminité, elle la présente sous des angles qui échappent aux codes de la perfection qu’on peut retrouver sur Instagram par exemple. Elle nomme d’ailleurs l’effet pervers du réseau social sur sa perception d’elle-même à plusieurs reprises.

« Damn, my whole life, everyone had to fuck me
Wow, I guess I’m just Lucky » 

Just A Kid

Est-ce que tout est vraiment si horrible pour Princess Nokia ? En guise de conclusion avec Just A Kid, elle se lance dans un récit spokenword sur son enfance sans parents et amour alors qu’elle est trimballée d’une famille d’accueil à une autre. Amère, mais lucide qu’elle s’en soit sortie, la pièce est poignante sans sonner mélodramatique. Le restant de l’album étant bâti à coup de répliques d’un humour noir. Plus les écoutes d’Everything Sucks s’enchaînent et plus les nuances de la poésie qui s’y cachent se révèlent. Difficile de ne pas être charmé par ce double album dont les moments parodiques et intimes se conjuguent de manière brillante.

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