Critiques

Philippe B

Nouvelle administration

  • Bonsound
  • 2023
  • 35 minutes
8
Le meilleur de lca

Depuis la sortie de son premier disque en 2005, Philippe B s’est imposé comme un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus constants sur la scène québécoise. Six ans après l’excellent La grande nuit vidéo (2017), le chanteur abitibien poursuit son parcours presque sans faille sur Nouvelle administration, qui s’abreuve de manière plus directe à la grande tradition de la chanson des années 60 et 70.

On s’était presque habitués à ce que Philippe B nous revienne avec un nouvel album tous les trois ans, si bien que ce long silence nous a paru comme une éternité. Bien sûr, depuis La grande nuit vidéo, il y a eu la pandémie qui aura eu des effets divers sur tout le monde, entraînant un regain de créativité chez les uns tandis que d’autres y ont vu l’occasion de prendre un pas de recul. Mais pour le musicien de Rouyn, les dernières années auront aussi été celles des grands changements puisqu’il est devenu papa et qu’il a quitté Montréal, qu’il habitait depuis presque 30 ans.

Ces bouleversements ont d’ailleurs servi de fil narratif pour ce nouvel album, axé autour des thèmes de la famille et du passage du temps. Sans dire qu’il conçoit des albums concepts, Philippe B a toujours eu la main habile pour ce qui est de créer des ensembles de chansons dont le résultat se veut davantage que la somme de ses parties. Il y a eu bien sûr Variations fantômes (2011), qui mélangeait la chanson folk à la musique symphonique par le biais d’emprunts à des œuvres du répertoire classique, tandis qu’Ornithologie, la nuit (2014) suivait les aventures sentimentales d’un alter ego à l’artiste, de l’échec amoureux jusqu’à la prochaine rencontre.

Cette fois, le thème de la famille et de la parentalité s’est imposé comme une manière de donner vie à des personnages qui nous semblent tout près de nous parce qu’on s’y reconnaît, tout en permettant à Philippe B de garder une certaine distance par rapport à son sujet, même si on ne peut s’empêcher d’y voir un aspect autobiographique. Le lien est parfois évident, comme sur la touchante Je t’attends en ouverture, racontée du point de vue d’un père fébrile qui attend l’arrivée au monde de son enfant. Il y a aussi Les orages là-bas, qui prend la forme d’un dialogue entre un père et sa fille à propos de la météo qui tourne à un débat sur le futur dans le contexte du réchauffement climatique :

L’hirondelle là-bas
Est de mauvais augure
Elle vole trop bas
C’est la fin, j’en suis sûr
Mais non, ne t’en fais pas
Les tempêtes ça va
Et ça vient, le beau temps
Revient sans que le ciel
Nous tombe sur la tête.

– Les orages là-bas

La force de Nouvelle administration réside dans sa poésie en apparence simple, mais qui atteint la cible à tout coup. Ça tient d’une part à la langue elle-même, à la fois familière, mais sans être tout à fait du joual non plus, et à son caractère imagé. Ils sont rares, en effet, les auteurs qui pourraient tourner la phrase « Nouveau char, nouvelle maison / Nouvelle administration » en un refrain qui donne les frissons. Il y a aussi cette empathie avec laquelle Philippe B se met à la place de ses personnages, comme sur la puissante Souterrain, sorte d’hommage aux travailleurs miniers de sa région natale :

Je suis un homme du Nord
Je n’ai pas peur de la mort, je la connais
Je crains le coup de grisou
Bien moins que la folie du loup solitaire ».

– Souterrain

On a parfois comparé Philippe B à Nick Drake pour sa capacité à conjuguer le folk intimiste et les arrangements orchestraux. Il y a encore de ça sur ce sixième album, notamment grâce aux superbes partitions de cordes de Guido Del Fabbro, même s’il est clair que le musicien a voulu revenir à quelque chose de plus épuré. On le sent d’ailleurs plus proche de la tradition de la chanson française, avec des références à Barbara ou même à Françoise Hardy, particulièrement sur Les orages là-bas. On le perçoit aussi en tant qu’héritier de l’époque des boîtes à chansons. Ainsi, Je t’attends évoque immanquablement Félix Leclerc, tant dans le phrasé que dans le picking à la guitare, jusqu’au texte qui réfère subtilement à L’alouette en colère.

Sans atteindre la grandeur et la beauté des Variations fantômes (certainement un des meilleurs albums québécois des 15 dernières années), Nouvelle administration nous présente un Philippe B en pleine possession de ses moyens, chez qui le petit (le côté presque enfantin de Marianne s’ennuie) et le grandiose (les chœurs sur la pièce-titre) se côtoient sans que l’un ait préséance sur l’autre. Du grand talent.

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