Critiques

Le Pélican Noir

Sous tes paupières les plages désertes luminescentes

  • Indépendant
  • 2015
  • 22 minutes
7

Le Pélican NoirMais qu’est-ce qu’un pélican noir? Je ne suis pas ornithologue, mais je ne crois pas que ça existe. Et Wikipédia pense comme moi. J’ai donc sûrement raison… Peut-on alors imaginer que le trio de Montréal a choisi ce patronyme en référence à ces grandes marées noires qui déferlent sur les plages lorsqu’un pétrolier géant se brise sur la côte? On voit alors des poissons, toutes nageoires dehors, en train de lentement passer l’arme à gauche en venant s’échouer sur le sable sombre, des foules de bénévoles qui se précipitent sur le bord de l’océan armé de pelles et de seaux. Déjà, les gilets jaunes récurent les grains de sable et dégagent le mazout venu ravager les paysages. Et c’est là souvent, à ce moment qu’on le voit pour la première fois: perché sur un rocher, le bec en berne et les ailes collées par le pétrole le long du corps, un pélican silencieux. Recouvert de cette matière informe et comme accroché au sol, il meurt lentement étouffé – Le pélican noir ne peut pas survivre.

Aussi cruelle que l’image puisse paraître, c’est exactement ce que j’entends avec Sous tes paupières les plages désertes luminescentes. Une musique sombre (le pétrole) qui envahit de grands espaces (l’océan). Sur A.M. Glacial par exemple, je ne peux pas m’empêcher de voir un pétrolier russe aux normes de sécurités toutes relatives venir s’écraser sur un iceberg traître. Lourd. Sombre. Inexorable. Angoissant. Même s’il est moins minimaliste que son prédécesseur, Sous tes paupières, est tout aussi ambiant. C’est vraiment ce côté ombrageux qui marque chez Le Pélican Noir. Tout respire le mal-être. La guitare au son étiré, ce clavier obsédant (sur whoestlepélicannoir?)… Et cette brume électrique qui englobe toutes les orchestrations du CD.

Le truc, c’est que c’est beau. C’est vraiment beau. C’est la petite mélodie clairvoyante qui vient déchirer les ombres de la section rythmique. Les progressions se font toujours lentement, mais sans jamais être chiantes. Un brise-glace qui avance, intransigeant à travers la banquise. C’est des pistes et des «samples» qui viennent délicatement s’enlacer sur Bee Side. C’est durant ce dernier titre justement que Le Pélican Noir rend un majestueux hommage à ce qui semble être une grande source d’inspiration: Sings Reign Rebuilder (Ô saint chef-d’œuvre de post-rock), le premier CD de l’ensemble canadien, Set Fire To Flame. Comme son prédécesseur, Sous tes paupières est un CD de la nuit. La bande-son nocturne d’où émergent ici et là des instants de grâce imparables. Comme des oiseaux qui échappent de justesse à la marée noire, la guitare acoustique de Bee Side offre un instant de bonheur éphémère dans cette déferlante obscure.

Si avant, dès le silence, certains audacieux comparaient Le Pélican Noir à Godspeed You! Black Emperor, c’était aller un peu vite en besogne. Plus atmosphérique et presque plus expérimental, mais moins riche, Le Pélican soutenait difficilement la comparaison. Avec Sous tes paupières…, on s’en rapproche. Étant plus rock et noise et délaissant certaines textures un peu plates entendues auparavant, l’album donne plus de sens à la comparaison (sans pour autant la rendre valable à 100%).

Vingt-quatre minutes. À votre avis c’est quoi? La durée d’un titre (on parlait justement de Godspeed)? Non. De l’album complet. Alors franchement, qu’un disque dure vingt minutes ou deux heures, je m’en tape. Mais avec le post-rock que pratique Le Pélican Noir, on aurait aimé en avoir un peu plus. Ceci étant dit, tout ayant une identité propre, Le Pélican titube sur un chemin maintes fois balisé par de glorieux aînés. Mais le décollage ne devrait plus tarder.

Ma note: 7/10

Le pélican Noir
Sous Tes Paupières les Plages Désertes Luminescentes
Indépendant
22 minutes

https://lepelicannoir.bandcamp.com/