Critiques

Jonathan Personne

Jonathan Personne

  • Bonsound
  • 2022
  • 33 minutes
7,5

Jonathan Robert, alias Jonathan Personne, se dirigeait vers une carrière en cinéma d’animation. Or, l’un des deux vocalistes de la formation indie rock Corridor ne se doutait point qu’un jour, il allait signer une entente avec la réputée maison de disques états-unienne, Sub Pop. En 2019, avec la sortie de l’excellent Junior, le quintette a enchaîné les concerts à un rythme plus que soutenu au point où le musicien a commencé à ressentir une certaine lassitude mentale.

Mais ça ne l’a pas empêché de lancer en 2020 un deuxième album solo titré Disparitions; un long format sur lequel les influences du Velvet Underground côtoyaient celles de Fleet Foxes. Dans un univers musical québécois dominé par le folk rock, l’électro-pop et le hip-hop consensuel, la proposition de l’auteur-compositeur avait le mérite de détonner. Il nous avait également proposé une entrée en matière réussie. Intitulée Histoire naturelle, cette première création en mode solo, parue en 2018, a été réalisée par Guillaume Chiasson de la formation Ponctuation.

Pour ce troisième effort, Jonathan Personne nous présente un long format homonyme magnifiquement illustré. La pochette met en évidence deux enfants qui s’amusent avec les restes d’un cadavre et l’effet est vraiment saisissant !

De prime abord écrit et composé dans la solitude dans un chalet situé dans la région des Laurentides, l’album a pris une tournure imprévue quand Joanthan Personne a renoué avec ses amis-instrumentistes Samuel Gougoux (batterie), Julian Perreault (guitare), Mathieu Cloutier (basse) et, bien entendu, l’incontournable Emmanuel Éthier. En plus de réaliser ce nouveau long format, Éthier en a profité pour jouer des synthés, du Mellotron, en plus de prêter sa voix sur quelques morceaux.

Dès les premières écoutes, on constate que ce nouveau chapitre dans la carrière de Jonathan Personne sera plus lisse que les précédents efforts. La voix du musicien est bien à l’avant-plan et les arrangements, inspirés par la pop psychédélique des années 60 — on pense autant aux Kinks qu’à l’œuvre de Lee Hazelwood —, sont élaborés avec le plus grand soin.

Toutefois, ce qui singularise réellement cette création des précédentes est le travail littéraire assez sinistre de Personne qui contraste avec la candeur sonore de certaines pièces. Les récits glauques sont légion, mais se concluent toujours avec un espoir de jours meilleurs. Dans Un homme sans visage, l’auteur raconte l’histoire d’un individu dont le faciès a été brûlé et qui souhaite recouvrer son ancienne physionomie.

Un homme sans visage, brûlé par le feu

À la peau fondue comme un cierge

Il posa sa main où était autrefois

Érigé un nez fier et droit

Tu crois que c’était beaucoup mieux avant

Tu n’avais pas plus de visage

Tu crois que tu aimerais revenir comme avant

Tu n’avais plus de visage

– Un homme sans visage

Musicalement, le rock parfois décapant, les abondantes superpositions de guitares et les synthés aériens viennent bonifier les orchestrations pop psychés susmentionnées. Malgré le manque de cohésion stylistique qu’on a décelé au fil des écoutes et en dépit certaines influences trop appuyées, Jonathan Personne nous présente un excellent opus.

Même si Rock & roll sur ton chemin ressemble à s’y méprendre à Sultans of Swing de Dire Straits et même si l’aura du bon vieux Neil Young auréole considérablement Le fou dans l’arbre, le doué compositeur fait un grand pas en avant mélodiquement et on oublie aisément ces quasi-pastiches.

Parmi les autres réussites à souligner, l’entrée en matière À présent capte immédiatement notre attention grâce à la richesse de ses orchestrations. Gold Rush, elle, fait référence au surmenage vécu par Personne après l’éreintante tournée de concerts qui a suivi la sortie de l’album Junior.

Si jamais Corridor rendait l’âme, Jonathan Personne sera pleinement en mesure de poursuivre son chemin seul… et il n’a même pas encore atteint tout son potentiel. Ce n’est pas encore LE grand disque pour l’artiste, mais ça ne saurait tarder, surtout s’il mise sur une direction artistique un peu plus cohérente pour sa prochaine aventure.