Critiques

Holy Fuck

Deleter

  • Last Gang Records
  • 2020
  • 41 minutes
7

Des grésillements d’instruments jouets et de pédales de distorsion, une énergie punk se mélangeant à une volonté de faire danser : voilà plus de 15 ans que Holy Fuck transporte ses expérimentations sonores un peut partout dans le monde. Même Stephen Harper n’a pas réussi à leur barrer la route. Le groupe de Toronto vient bousculer l’année 2020 qui commence avec un nouvel album intitulé Deleter.

Faisant suite à l’excellent Congrats paru en 2016, Deleter vient un peu rebrasser les cartes pour Holy Fuck. Optant pour un son un peu moins abrasif, le groupe renoue avec des compositions moins structurées, laissant beaucoup d’espace à l’improvisation, telles qu’on en retrouve sur ses premiers albums. En même temps, il développe davantage certaines avenues explorées sur Congrats en laissant plus d’espace à la voix.

Et quelles voix! Nul autre qu’Alexis Taylor de Hot Chip, Angus Andrew de Liars, et Nicholas Allbrook de Pond sont venus prêter main-forte à Brian Borcherdt, Graham Walsh, Matt « Punchy » McQuaid et Matt Schulz en studio. Leurs chants sont accueillis à même l’univers de Holy Fuck puisque ceux-ci sont distorsionnés, noyés dans l’écho et triturés de la même façon que les voix des membres du groupe.

Dès l’ouverture de l’album, un court motif de synthétiseur et des « hi-hats » obsessifs viennent soutenir Alexis Taylor qui entonne « I’d like to scrap all of this / and start over again ». La table est d’emblée mise pour un album porté par une volonté de s’ouvrir à des sonorités nouvelles.

Plusieurs critiques réfèrent à la house music, voire au trance des années 1990 afin de décrire cette recherche. Il est vrai que de nombreux sons de clavier et de basse semblent issus de cette décennie. À cela s’ajoute des rythmes de batterie plus simple, des charlestons et des caisses claires qui entraînent l’auditeur dans de longs roulements de grosses caisses qui martèlent les temps. On aurait tort cependant de trop appuyer sur la comparaison. On ne retrouve pas sur Deleter le minimalisme ni le côté machinal qui caractérise souvent la musique de club. On sent bel et bien des mains humaines s’agiter en direct sur leurs instruments afin d’insuffler à Deleter une remarquable intensité.

Reste que les années 1990 sont présentes à bien des niveaux. Le deuxième morceau, chanson thème de l’album, propose ainsi un refrain qu’on croirait directement issu d’un vieil album des Chemical Brothers. On y retrouve avec plaisir Angus Andrew qui balance une mélodie des plus accrocheuse, comme lui seul en a le secret.

L’album enchaîne ensuite une spectaculaire montée d’intensité, domaine dans lequel Holy Fuck excelle particulièrement, la troisième pièce de l’album se terminant sur un motif de basse d’une profondeur impressionnante. Puis, au tour de Nicholas Allbrook, le morceau suivant, de faire son incursion dans l’univers très nineties de Deleter.

Jusque là, il y a de quoi combler les mélomanes les plus exigeants.

Malheureusement, ça se corse à partir de la cinquième pièce de l’album. En effet, Moment, No Error et San Sebastian tombent un peu à plat; aucune mélodie forte, aucun riff puissant ne venant soutenir ces improvisations pourtant interprétées avec conviction.

Au final, Deleter propose moins de diversité de grooves, d’atmosphères et de textures sonores que les précédents opus de Holy Fuck. Il montre cependant que le groupe est capable de s’immerger dans des sonorités nouvelles malgré l’usage d’une instrumentation disparate. Ce faisant, l’ensemble torontois arrive une fois de plus à faire émerger de leur magma sonore quelques mélodies splendides et plusieurs riffs décapants.