Critiques

Essaie Pas

New Path

  • DFA Records
  • 2018
  • 38 minutes
7,5

Essaie Pas est devenu avec les années un coup de cœur de la scène électro montréalaise. Encore plus depuis la sortie de Demain est une autre nuit (2016) sur DFA Records (James Murphy). Le duo formé de Marie Davidson et Pierre Guérineau a peut-être débuté sous une forme plus rock, c’est leur virage vers le synth wave qui a consolidé leur sonorité et leur a permis de se démarquer avec des textes parlés (spoken word) livrés de façon sarcastique. Vous dire le nombre de fois que j’ai écouté leur dernier album est un euphémisme. J’ai une certaine adoration pour des pièces comme Le port du masque est de rigueur et des phrases comme « Je trébuche à chaque pas sur les cadavres de notre histoire ». Deux ans, et bien des événements plus tard, Essaie pas est de retour avec New Path, un album inspiré du livre A Scanner Darkly (1977) de l’écrivain Philip K. Dick. Le nom fait référence à la clinique de réhabilitation où le personnage principal est en désintoxication de la substance M. Musicalement, le duo change effectivement de direction en troquant les textes et la forme pop pour des structures EBM et techno très entraînantes, chapeautées par des lignes mélodiques au goût « acid ».

Les Aphides commence sur une rythmique techno texturée par des bruits de pattes d’insectes (des pucerons dans ce cas-ci). Les voix de Davidson et Guérineau répètent le titre, et d’autres mots reliés au thème, à travers un effet d’écho, pendant que les claviers développent une atmosphère inquiétante en parallèle à un son analogique « acid ». Futur Parlé ouvre sur un arpège à l’orgue qui tourne en boucle très rapidement, contrastant avec l’impact industriel réverbéré. Le rythme techno et la ligne de basse forment une boucle supportant le spoken word de Davidson qui elle, parle de futurologie sur un ton académique, avec une pincée de sarcasme dans le genre de « …l’avenir, ça n’existe plus depuis longtemps… ». Le rire échantillonné de Davidson présente Complet Brouillé façon Janet Jackson, avec un « kick » EBM et une ligne de basse fin 80s faisant vibrer le plancher. On part à rire rendu au roulement de toms à la I’m too sexy, et on garde le sourire à travers la suite d’extraits sonores rétro.

Les agents des stups en remet avec un rythme IDM rebondissant, un clavier ambiant et une accumulation d’éléments percussifs qui intensifient le niveau d’anticipation jusqu’à un pont suspendu aux clappements de mains. Ça repart un peu plus nerveusement comme un trip de machine à rythme par-dessus lequel une ligne synthétique descendante imite une sirène. La scène est ponctuée par des échantillons de conversations radio et densifiée par un clavier arpégé de façon très rapide. Substance M génère une sensation de lévitation, la réverbération donnant une impression d’espace vaste dans lequel un rythme techno-industriel joue avec les contretemps. La mélodie « acid » évolue en boucle, variant en clarté et en niveau de résonance. New Path conclut sur une atmosphère étouffante, avec une voix informatisée tentant de répondre à des questions, tel un patient lourdement médicamenté.

New Path marque une nouvelle étape dans la façon dont le duo compose les pièces et celles-ci sont placées de façon cohérente dans un thème principal. Ça a l’avantage d’aller droit au but, bien que ça puisse paraître un peu linéaire et répétitif par moment. Au niveau musical, le côté sombre de la trame sonore comblera assurément les amateurs de John Carpenter, tandis que le côté techno devrait faire sourire celles et ceux qui ont (trop) dansé sur du Lassigue Bendthaus et autres trucs « undergrounds ». La référence au livre est réussie, dans la mesure où on ressent une partie de la nervosité et la paranoïa qui accompagneraient un sevrage, par exemple, mais sans ce contexte l’album devient abstrait et expérimental. Changement de cap temporaire ou pas, l’expérience auditive est encore une fois très satisfaisante, particulièrement à volume élevé.