Critiques

Emma Ruth Rundle

Engine of Hell

  • Sargent House
  • 2021
  • 41 minutes
8
Le meilleur de lca

Au cours des dix dernières années, l’autrice-compositrice-interprète états-unienne Emma Ruth Rundle s’est frayée un chemin parmi les meilleures chansonnières de sa génération. De Some Heavy Ocean (2014) en passant par les plus bruyants Marked for Death (2016) et One Dark Horses (2018), jusqu’à l’apothéose abrasive qu’a constitué sa collaboration avec la formation sludge métal Thou (2020), elle s’est toujours démarquée en exprimant une mélancolie sincère qui évite la surenchère émotive. On salue bien bas ses créations collaboratives avec Jaye Jayle et la prêtresse gothique Chelsea Wolfe.

Emma Ruth Rundle nous présente son cinquième album solo en carrière. Enregistré en direct sans overdubs, Engine of Hell voit l’artiste renoncer aux arrangements complets de ses derniers albums. Majoritairement composées au piano — le premier instrument que Rundle a appris à jouer —, les chansons meublant cet album évoquent subtilement le Pink Moon de Nick Drake et, plus récemment, le superbe Songs/Instrumentals d’Adrianne Lenker (Big Thief).

Rundle souhaite en dire le moins possible au sujet de cette création. Dans le communiqué de presse remis par la compagnie de disque, elle déclarait ceci : « Je ne sais pas quoi révéler à propos de cet album. Je souhaite rester seule un peu. Je n’ai pas l’impression que je dois agiter le drapeau « regarde-moi » [traduction libre] ». Une affirmation émise en toute constance avec le parfum intimiste que dégage ce long format.

Cette approche frugale met en lumière toute la vulnérabilité des chansons de Rundle. Inspirée par les douloureux souvenirs de sa jeunesse, elle se met délicatement à nu. Dans Return, cette discrétion quelque peu hermétique émeut jusqu’à la moelle :

A rich belief that no one sees you

Your ribbon cut from all the fates and

Some hound of Hell looking for handouts

The breath between things no one says

– Return

Or, Rundle est tout à fait en mesure de lever le voile sur ses souffrances avec une franchise qui l’honore. Dans Blooms of Oblivion, elle fait référence à une cure de désintoxication imposée à l’un de ses proches :

Down at the methadone clinic we waited

Hoping to take home your cure

The curdling cowards, the crackle of China

You say that it’s making you pure

– Blooms of Oblivion

La simplicité apparente de ces pièces masque des histoires hautement poignantes, interprétées avec un équilibre parfait entre honnêteté et pudeur. Il s’agit d’écouter attentivement des pièces comme Dancing Man et ce chef-d’œuvre de sobriété qu’est Razor’s Edge pour constater la sérénité qui se dégage de ce disque, malgré la charge émotionnelle élevée qui caractérise ces morceaux.

Engine of Hell est une œuvre bouleversante. Quiconque ayant subi un important traumatisme ou un deuil y trouvera un puissant réconfort qui mettra un baume sur son cœur. Loin d’être un album qui mettra le feu à votre chaîne stéréo, ce disque enflammera assurément votre âme.

Emma Ruth Rundle peut maintenant souffler en paix en attendant d’entamer son prochain cycle créatif.