Critiques

Destroyer

Labyrinthitis

  • Merge Records
  • 2022
  • 44 minutes
8
Le meilleur de lca

À l’aube de ses 50 ans et avec une douzaine d’albums sous le nom Destroyer derrière la cravate, Dan Bejar ne montre aucun signe d’essoufflement créatif. Tout juste deux ans après l’excellent Have We Met, il rapplique avec Labyrinthitis, un disque fort qui trouve ses racines dans le pop-rock d’aréna des années 80, mais sans que l’écriture énigmatique de Bejar en souffre, même lorsqu’il plonge dans le disco!

On a tendance à penser que Destroyer s’est imposé comme le véhicule créatif de Bejar en parallèle de son travail avec les New Pornographers. Or, c’est d’abord sous ce nom que le musicien de Vancouver a fait ses armes en tant qu’auteur-compositeur-interprète dans les années 90. Si ses premiers albums misaient sur une esthétique lo-fi, le projet a évolué vers quelque chose de beaucoup plus élaboré, avec une importance accrue pour les synthés et un penchant pour la pop léchée et la new wave.

Crevons l’abcès tout de suite : Labyrinthitis est sans doute l’album le plus accessible de la discographie de Destroyer (officiellement un groupe, mais dont Bejar est le seul maître à bord). Oui, ça signifie certaines tournures plus « pop » qui pourraient laisser croire que Bejar a vendu son âme au diable. C’est notamment le cas sur Suffer, qui mise sur une rythmique énergique doublée d’une ligne de basse à la New Order; Eat the Wine, Drink the Bread, qui rappelle un peu le Peter Gabriel de l’album So; et la surprenante It Takes a Thief, la plus dansante du lot, ouvertement disco dans ses punchs de cuivres, ses cordes sirupeuses, et sa pulsation frénétique.

Évidemment, on a ici affaire à du Bejar, et donc l’adjectif « pop » est à prendre avec précaution. Malgré la facture propre et l’accent mis sur le rythme, l’album conserve un air d’étrangeté qui tient autant à la dégaine du chanteur et à son ton de crooner qu’aux paroles cryptiques. En effet, rares sont les paroliers capables d’insuffler une telle dose de symbolisme dans leurs textes sans que ça paraisse forcé. Soutenue par une rythmique d’inspiration funk, June en est un bon exemple, alors que les paroles semblent inviter les auditeurs à leur trouver le sens qu’ils voudront bien :

« I’d be lying if I didn’t say

Fortune’s wheel’s just for show

In this brutal turning

Nothing changes the slow grind away

Fancy language dies

And everyone’s happy to see her go

Everyone’s happy to strike for more pay ».

– June

Même si Labyrinthitis donne dans le pop-rock un peu plus dansant, c’est dans ses moments les plus dramatiques qu’il touche particulièrement la cible. Pièce maîtresse de ce nouvel opus, la puissante Tintoretto, It’s for You relève du grand art et se classe aisément parmi les meilleurs titres de Destroyer à ce jour. Avec sa basse inquiétante et soutenue ainsi que son texte obscur faisant référence à un peintre italien de la Renaissance, la chanson nous hante longtemps après la première écoute et nous donne envie d’y revenir sans cesse pour tenter d’en découvrir les mystères.

Pandémie oblige, Labyrinthitis a essentiellement été créé à distance. Il faut d’ailleurs souligner la contribution précieuse du réalisateur et multi-instrumentiste John Collins, qui a certainement eu son gros mot à dire pour assembler ces nouvelles chansons. En dépit de ce contexte de création hors normes, il se dégage de l’album une énergie telle qu’on s’étonne qu’il n’ait pas été créé dans la convivialité du studio, où les musiciens ont l’habitude de se nourrir de l’enthousiasme des uns et des autres.

Parce qu’il fait le pari d’une très grande liberté sur le plan stylistique, Labyrinthitis semble afficher une moins grande cohérence que les œuvres phares de Destroyer, à commencer par le classique Kaputt (2011), devenu la référence en la matière. Mais ça reste un excellent disque où, malgré les écarts de style, Bejar ne donne jamais (ou presque) l’impression d’en faire trop et où la fluidité des genres musicaux devient un simple outil placé au service de l’essentiel : la qualité des chansons.

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