Critiques

In Ferneaux, Blanck Mass

Blanck Mass

In Ferneaux

  • Sacred Bones Records
  • 2021
  • 42 minutes
7,5

En différé en provenance d’Édimbourg, le compositeur Benjamin John Power est de retour avec un nouvel album de Blanck Mass, son projet solo à la musique techno industrielle très dense et abrasive. Il s’est démarqué avec cette sonorité sur les très bons Dumb Flesh (2015) et World Eater (2017), et un peu moins avec Animated Violence Mild (2019), qui reprenait le moule en forme de broyeur ponctué avec des thèmes plus légers issus des années 80s. Inspiré par la pandémie, Power a changé de format pour nous proposer un album atmosphérique de deux pièces d’une vingtaine de minutes chacune, arrangées en une suite de souvenirs à travers lesquels des fragments de voix, du field recording urbain, des motifs synthétiques années 80 et un peu de drone s’entrecroisent en une introspection infernale. Bienvenu dans In Ferneaux.

Phase I ouvre immédiatement sur une boucle scintillante et harmonique au clavier, montée comme une trame de jeu vidéo 8-bit qui annonce une quête entre le bien et le mal. Les échantillons de voix tirés d’émissions de nouvelles télévisées s’enchaînent en vagues, menant à un segment ultra intense de dance métal japonais qui libère un frisson à faire dresser le poil sur les bras. Le mouvement revient au motif de départ et s’estompe en échos de voix et en différents éléments de field recording assemblés en un lieu improbable, suggérant tout de même une promenade en chaloupe entourée de mobiles en tubes de bambou qui jouent de façon percussive au gré du vent. Le mouvement passe de l’extérieur à l’intérieur et s’approche tranquillement d’une oscillation faite de turbines et de génératrices alimentant une centrale électrique. Les soupapes de pression à vapeur créent une itération à laquelle s’ajoute un bord de ruisseau, un duo qui mène à un long filament de cordes s’élevant vers un plateau mélodique new age. Le thème retombe au sol asphalté, dans une ruelle de quartier résidentiel en ville, et s’engouffre lentement dans le chaos de la nuit.

Phase II fait suite avec du bruit, comme un énorme souffle de messages radiophoniques et de radiations captées par un poste de commandement militaire. Le passage de l’explosion fait place à une entrevue tirée d’une émission communautaire, discutée sur un ton philosophique, placée devant un thème musical à l’orgue, comme si la conversation avait lieu près d’une église aux portes ouvertes. La mélodie évolue doucement en solo, mais un mécanisme itératif saturé vient le remplacer de force tel un désintégrateur atomique qui anéantit tout sur son passage. Les flocons de métal s’entrechoquent dans le courant d’air laissé par la machine, et forment un thème post-apocalyptique qui effleure le sommet des dunes. Les percussions métalliques apportent leur dose de rouille et de Mad Max avant de passer à une finale atmosphérique bien dense. 

Il n’y a pas à dire, Power a trouvé un territoire fertile entre les formes drone et techno industrielle, avec du field recording comme trame narrative pour passer d’un état à l’autre. La durée raisonnablement longue des deux pièces génère un effet immersif très intéressant qui prend le temps de décortiquer la tension du fil conducteur. La perception du temps s’en trouve brouillée et l’impression de vie qui passe en flash-back est accentuée. En ce sens, In Ferneaux fait penser à un documentaire sonore restauré qui témoigne d’une nostalgie de la vie en public, en groupe, et de la souffrance relative à l’isolement et au fait d’avoir à faire face à soi-même.

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