Critiques

Ben Shemie

A Skeleton

  • Hands in the Dark
  • 2019
  • 31 minutes
7

Ben Shemie est surtout connu pour son travail avec Suuns, groupe au sein duquel il fait office de chanteur et guitariste. Il a fait paraître, en février 2019, un premier album solo, intitulé A Skeleton. L’album est décrit comme de la « pop expérimentale qui mélange des sons froids et synthétiques avec des touches psychédéliques ».

La proposition s’avère ainsi très différente de l’art-rock auquel il nous a habitués. Délaissant la guitare au profit des machines, développant des mélodies touffues, Ben Shemie démontre avec brio toute l’étendue des sonorités et technique qu’il est capable d’exploiter.

Construit autour de courts motifs de boîtes à rythmes et de synthétiseurs — aux sonorités à la fois froides, machinales et lo-fi —, l’album est résolument minimaliste. Cela est bien entendu inhérent à l’usage de machine, mais aussi au fait que Ben Shemie manipule celles-ci en temps réel, et ce, autant en spectacle qu’en studio.

A Skeleton a en effet été enregistré en une prise au prisé Breakglass Studio, à Montréal. Le musicien mise donc sur une certaine spontanéité, autant dans la création que dans l’interprétation de l’album, sur un rapport humain avec la machine, en tension avec la froideur des atmosphères proposées. La technique de feedback, utilisée selon ses dires dans la création de l’album, fait en sorte que les morceaux prennent une tournure différente à chaque interprétation.

Malgré ce côté imprévisible, Ben Shemie arrive à investir l’espace laissé vacant par les machines pour y développer des mélodies vocales complexes, mais néanmoins accrocheuses. Plus touffues que ce qu’il nous a habitué avec Suuns, ces mélodies se développent tout en légèreté sur un arrière-plan synthétique souvent répétitif. Empruntant des chemins inattendus, elles amènent une grande richesse harmonique à l’album. Constamment enduite d’une grosse dose d’autotune, la voix de Shemie semble elle aussi issue de machines.

Cette voix est d’ailleurs totalement en phase avec le propos développé sur A Skeleton. Comme le titre de l’album l’indique, on y suit les tribulations et les rêveries métaphysiques d’un squelette évoluant dans un futur proche où l’intelligence artificielle serait dominante par rapport à l’humain. Cette symbolique ramène à la dimension la plus fondamentale de l’être humain : le corps dégagé des traits physiques auxquels ont affuble des catégories sociales de genre, de race, de beauté, etc. Le regard de Shemie se porte ainsi vers l’intérieur, vers ce qui est caché, mais en même temps universel. Sur cette base, il s’attarde aux difficultés de mettre de l’avant une identité individuelle forte.

A Skeleton est d’une grande richesse, tant au niveau musical que conceptuel. Ben Shemie y montre bien la vaste palette qu’il est capable d’exploiter. En effet, si quelques textures sonores peuvent rappeler Suuns, notamment sur Differently, l’ensemble s’avère très différent, et ce, autant dans les mélodies, le propos, les sonorités, que les compositions.

Mais le mélange de sonorités et de genre musical proposé peut s’avérer de prime abord difficile à encaisser. En effet, il faut s’accorder quelques écoutes avant d’arriver à plonger pleinement dans cet univers singulier. On se laisse par la suite surprendre à être habité par les mélodies fortes de l’album. À partir de propositions profondément expérimentales, Ben Shemie arrive ainsi à développer un songwriting de haut niveau. On en revient ici à ce qui fait également la force de Suuns : faire émerger de belles chansons d’expérimentations sonores souvent radicales.

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