Critiques

Angel Bat Dawid

LIVE

  • International Anthem Recording Co.
  • 2020
  • 79 minutes
8
Le meilleur de lca

Angel Elmore, alias Angel Bat Dawid, est une compositrice, improvisatrice, clarinettiste et pianiste, originaire de Chicago. En 2019, elle lançait son premier album : The Oracle. Ce disque est considéré, par plusieurs amateurs de jazz, comme une sorte de carte routière remodelée de la musique afro-américaine. Une entrée en matière satisfaisante pour cette artiste qui n’hésite jamais à remettre en question le statu quo social.

Enregistrée le 1er novembre 2019 dans le cadre d’un concert donné au Jazzfest berlinois, cette captation est la rencontre fusionnelle entre une grande chanteuse et des musiciens d’exception : Angel Bat Dawid et Tha Brotherhood.

Quarante-huit heures avant le concert, la bande a appris que le multi-instrumentiste Viktor Le Givens, important membre de Tha Brotherhood, s’était évanoui en se rendant à l’aéroport de Chicago, avant de s’envoler vers Berlin. Il a dû être hospitalisé d’urgence. Après avoir annoncé la nouvelle aux organisateurs du festival, ceux-ci ont menacé de réduire le cachet prévu pour la formation si elle n’était pas en mesure de remplacer l’instrumentiste mal en point…

C’est dans cet état d’esprit, empreint d’une colère et d’une amertume justifiées, qu’Angel Bat Dawid et Tha Brotherhood ont foulé la scène. Dès la première pièce du concert intitulée Enlightement, Dawid s’époumone avec une fureur admirable : «… ever since I’ve been here, you all treated me like shit !!! ».

Les albums « live » servent souvent à mettre fin à un contrat de longue durée signé avec une maison de disques. Une manière polie de dire aux bonzes de ces labels qu’il n’y aura pas d’ultime enregistrement studio afin d’honorer l’entente. Mais cette fois-ci, on est très loin d’une création dite « de remplissage ».

Ce concert est une claque en plein visage qui fait sérieusement réfléchir à tous ces biais que nous, blancs privilégiés, portons tous sans même nous en rendre compte. Singularisée par l’énergie contagieuse d’Angel Bat Dawid, cet album fait œuvre utile. Tout au long de la prestation, elle implique le public présent, lui faisant parfois jouer le rôle de complice et à d’autres moments le transformant en antagoniste.

Musicalement, on est plongé dans un free jazz exploratoire. Souvent, une pièce débute par une phrase répétée comme un mantra, qui sera décomposé progressivement, pour finalement être ressuscité grâce à des changements rythmiques prodigieux. Dans The Wicked Shall Not Prevail, trois chanteurs improvisent sur une mixture polyrythmique s’appuyant sur des percussions traditionnelles et des boîtes à rythmes trafiquées. Dawid bonifie le morceau avec une clarinette et des fragments pianistiques dissonants. Et elle nous arrache le coeur dans Black Family lorsqu’elle évacue sa colère de manière éplorée; une émotion rarement entendue sur un enregistrement en concert :

« What’s wrong with me ?

You don’t love me

You don’t love my family

We need you to affirm us »

– Black Family

Sur la conclusive Hall, on peut même entendre l’échantillonnage d’une envolée oratoire revendicatrice de Dawid. Lors d’un séminaire parrainé par les promoteurs du festival, qui a eu lieu quelques heures avant le concert, l’artiste se vide le cœur sur l’attitude pour le moins disgracieuse des responsables de l’événement. Cet enregistrement est passé dans une multitude de filtres lui conférant ainsi un aspect quasi fantomatique.

LIVE est le poignant témoignage du vent de changement qui s’élève actuellement et qui fera de nous tous, on l’espère, de meilleurs êtres humains.

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