
FIJM 2025 | Thanya Iyer + Clown Core
Après s’être rondement amusé aux Francos dans les dernières semaines, c’est avec plaisir que l’on retrouve la place des Festivals pour le 45e Festival International de jazz de Montréal. Et ça part drôlement fort. Retour sur une soirée euphorisante et légèrement effrayante.

Thanya Iyer
C’est sur les coups de 18h que se déroulait mon premier rendez-vous jazz de la saison et c’est à l’esplanade Tranquille que ça se passait. J’allais y retrouver l’autrice-compositrice-interprète montréalaise Thanya Iyer, qui propose une pop expérimentale aux envolées jazz imprévisibles et texturées.
Celle-ci est arrivée avec son impressionnante équipe composée d’un bassiste/clarinettiste, d’un percussionniste, d’une harpiste, de trois choristes, de deux violonistes et d’une violoncelliste. Tout ce beau monde-là a pris place et, dès les premières notes, nous a convié dans l’univers étoffé de la jeune artiste. Cette dernière brillait à l’avant-scène, vêtue d’une incroyable robe bouffante sur laquelle pendaient quelques jolies « décorations », faute d’un meilleur mot.
Musicalement, ce qui fonctionne très bien sur scène, ce sont les superbes harmonies entre sa voix, celles de son chœur et la section de cordes. Lorsque les percussions s’en mêlent, l’équipe entière travaille à l’unisson et nous embarque, pendant de longues minutes, dans un voyage confortable et surprenant, avec de nombreuses improvisations qui se déploient ici et là.
Ayant lancé un nouvel album à la fin avril, Thanya Iyer et son band ont dédié une bonne partie du concert aux chansons future-folk, ambiant et jazz-pop qui habitent TIDE/TIED. C’est au son de jolis morceaux, comme Low Tides, Where does that energy go? et I am here now, que la formation a démontré sa forte cohésion, alors que la chanteuse et multi-instrumentiste, alternait habilement entre son clavier, son violon et le grand piano qui bordait la scène.
À l’exception des stridants feedback et de la fatigue qui se faisait sentir par moments chez Iyer et son équipe (pardonnons-leur, ils étaient à Vancouver la veille et n’ont eu que deux heures de sommeil), on a eu droit à un moment planant et intéressant en compagnie d’une talentueuse artiste et de son groupe franchement original.
Clown Core
Puis, j’ai mis le cap direction MTELUS pour le très attendu concert de Clown Core. Arrivé sur les lieux, j’ai réalisé que j’avais failli à la tâche en omettant de me maquiller pour l’occasion. Je me suis dit que c’était pour une autre fois, mais me suis ravisé puisque le nom de la tournée de l’énigmatique duo est we are never coming back (nous ne reviendrons jamais). C’est d’ailleurs ce que l’on ressent lorsque l’on retrouve Clown Core sur scène: cette impression d’assister à un concert unique, qui risque de ne jamais se reproduire en raison de sa folie, de sa mise en scène absurde et du mystère qui entoure les deux savants musiciens masqués.
Après une certaine attente comblée par une photo de chatons projetée sur scène et l’hilarante réaction de la foule qui en a résulté, le moment est enfin arrivé. Celui qui se fait appeler DJ Driver, un homme qui accompagne le duo, est apparu de manière bien surréelle. Sur la scène sombre, l’homme, portant un bleu de travail et un ski mask, rôdait et était filmé par une autre entité masquée, alors que les images captées sur le petit caméscope étaient projetées derrière. Nous plongeant dans l’univers saugrenu du duo qui allait débarquer sous peu, le DJ a demandé une cigarette à un membre du public, s’est assis pour fumer et a fait jouer des morceaux ambiant étranges sans bouger. Exigeant le silence complet au public dissipé, DJ Driver est resté sur les planches pendant une quinzaine de minutes, que l’on pourrait qualifier de désopilantes et de légèrement troublantes.
Tout ça a drôlement bien mis la table à ce qui allait suivre. Sous les acclamations musclées, les deux musiciens anonymes aux masques grotesques de Clown Core se sont postés sur le petit plateau au centre de la scène et sont restés immobiles, instruments en main, pour d’autres longues minutes. Flanqués d’un visuel représentant l’espace, les deux hommes ont sifflé les premières notes et une énergie singulière s’est emparée de la foule qui trépidait d’impatience depuis longtemps maintenant.
C’est un feu roulant de morceaux jazzcore qui a emporté le MTELUS bien garni pour l’heure qui a suivi. Face à face, et toujours aussi bien sapés, les deux clowns ont démontré leur talent musical, un derrière la petite batterie retentissante, alors que l’autre s’affairait au saxophone et aux claviers. Les musiciens anonymes, que plusieurs soupçonnent d’être Sam Gendel et Louis Cole, ont enchainé les morceaux bruyants et concis, toujours empreints d’une maitrise musicale impressionnante, pendant que les spectateurs les plus aguerris se sont adonnés à de multiples mosh pits grouillants dès qu’ils le pouvaient.
Pour exacerber l’absurdité du moment, de nombreux visuels ultra-gore ont été projetés derrière les deux artistes au flegme surprenant. Ces images, souvent le résultat du travail de l’intelligence artificielle, représentaient des scènes pornographiques scabreuses ou des images incessantes de guerre se transformant en dégoulinants mets qui lèvent le cœur. Assez saturé par ces scènes, on se demande même si le groupe a besoin d’user de ces images chocs pour nous plonger dans son absurdité. Même si on ouvre nos œillères parce que l’on connait l’identité de Clown Core, trop d’IA vomissante, c’est comme pas assez parfois. En contrepartie, les vraies images du groupe qui s’affaire dans sa fourgonnette bleue, qui pisse du sang ou la diffusion de reviews d’internautes, ont offert des moments hilarants qui confirment le self-awareness de la formation.
Clown Core se donne en concert, sans excuse, mettant de l’avant ce qu’il y a de plus beau et laid dans l’univers. Le groupe nous présente un éventail de pièces aux sonorités éclectiques, passant de moments hardcore, à d’autres au jazz suspendu digne d’infopubs. Avec humour, irrévérence et gore, le duo déconstruit les codes, s’amuse avec ceux-ci et nous entraine dans sa folie émancipée. Et quand le claviériste pousse la note avec son sexe, on se dit que s’entêter à décrire Clown Core ne sert strictement à rien, qu’il faut seulement accepter le mystère, comme le chante si bien Stéphane Lafleur.
Karneef
Soulignons également le vaillant effort de Karneef, celui qui devait précéder Clown Core hier soir. Épaulé par son excellent band, Phil Karneef, qui a grandi a Ottawa et qui est maintenant basé à Montréal, a insufflé beaucoup de rythme à ce début de soirée avec ses morceaux jazz fusion envoutants et précis. Très drôle lui-même, le jeune homme a marqué son passage avec de nombreuses farces démontrant son agilité sur scène, et avec les pièces surprenantes de son dernier album It’s How You Say It. Son énergie contagieuse a mis la table pour le déroutant concert qui allait survenir.








Crédit photo: Eugénie Pigeonnier