Chroniques

Les albums parfaits (2000-2010)

À l’automne 2020, une nouvelle employée se joignait à l’équipe du Canal Auditif. Lors de l’écriture de sa première critique pour nous, elle voulut naïvement accoler une note presque parfaite à l’album (dont nous tairons le titre). Notre rédacteur en chef a dû lui expliquer que « tant que l’oeuvre ne constitue pas un point tournant dans l’histoire de la musique », il est impossible de lui accorder une note de plus de 9 sur 10. Ce à quoi notre chère Eloïse répliqua : « Ok, mais quels sont ces albums parfaits, pour le Canal Auditif ? »

Nous avons demandé à nos 27 collaborateurs et collaboratrices, dans un sondage très pointilleux, quels disques considéraient-ils comme des «notes parfaites»? Le Canal en a donc recensé 113, tous approuvés par l’équipe de rédaction habituelle.

Merci à Mathieu Robitaille, Bruno Coulombe et à Stéphane Deslauriers de s’être joint à Eloïse Léveillé et Louis-Philippe Labrèche pour cette chronique. Bonne lecture!

D’Angelo — Voodoo (2000)

Virgin

La Black Radio évoluait rapidement à la fin des années 1990 : des artistes comme Jill Scott, Maxwell et Lauryn Hill fusionnaient le R&B avec une production hip-hop élégante et poétique. Sauf que D’Angelo n’était pas au courant de tout ça : il avait passé les dernières années à l’intérieur, loin de l’avant-garde. S’il a fallu du temps pour comprendre que Voodoo ne vivait pas dans le même monde musical que ses pairs en 2000, c’est parce qu’il était intemporel. Voodoo est jazz, soul, funk et hip-hop. Alors que les influences de Prince, de P-Funk et de Marvin Gaye y sont présentes partout, D’Angelo s’inspire tout autant des Beatles et de Hendrix. L’album aura pris trois années à enregistrer sur de l’équipement vintage, avec le réalisateur Russell Elvado, avec qui il partageait la même passion pour ces sons chaleureux inspirés de leurs anciennes idoles. Cet album a changé la face de la néo-soul pour l’avenir du nouveau millénaire. (EL)

Erykah Badu — Mama’s Gun (2000)

Motown

Cet album représente sans doute le sommet d’une époque musicale colorée par la néo-soul, mise de l’avant chez les Soulquarians (Questlove, J Dilla, D’Angelo, Common et Badu). Mama’s Gun est une œuvre qui frappe par ses paroles ancrées dans une réalité tangible, ce qui différait de la poésie cryptique de son premier effort Baduizm, paru trois ans plus tôt. Erykah Badu s’est inspirée de la naissance de son fils, de sa séparation avec André 3000 (Outkast) et la mort d’Amadou Diallo qui a été gratuitement tué par quatre policiers. Sur Mama’s Gun se trouve une charge émotionnelle importante que Badu canalise à merveille. C’est donc à travers une interprétation nuancée et une prose magnifique qu’on prend la mesure des émotions qu’il l’ont secouée. (LP)

Godspeed You! Black Emperor — Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven (2000)

Constellation Records

Les quatre mouvements qui meublent ce grand disque de post-rock sont majoritairement instrumentaux. Il y a bien quelques échantillonnages utilisés ici et là par GY!BE, qui servent surtout à passer des messages politiques aussi satiriques que poétiques, mais c’est à peu près tout. Lift Your Skinny Fist (pour les intimes) flirte parfois avec le shoegaze, mais ce sont surtout ces extraordinaires crescendos qui finissent par faire succomber l’auditeur. La montée dramatique de Storm – pièce introductive de l’album – est du pur génie. Un album vraiment, mais vraiment bouleversant, comme il s’en fait trop peu. (SD)

OutKast Stankonia (2000)

OutKast — Stankonia (2000)

LaFace Records

Pendant les deux premières décennies du hip-hop, personne ne s’imaginait que l’avenir du genre allait provenir d’Atlanta et non de New York ou de Los Angeles. C’était sans compter sur Big Boi, Andre 3000 et leurs réalisateurs Organized Noize, qui ont carrément redessiné la carte avec une série d’albums irréprochables. L’œuvre d’Outkast a culminé avec l’immense Stankonia, un album invitant, grouillant d’idées, à la fois cru et transcendant. Les éléments habituels d’un album hip-hop sont en place, mais on a tout de même l’impression d’entendre un groupe venu d’une autre planète (en prime: les débuts sur disque de Killer Mike). (MR)

Radiohead — Kid A (2000)

Parlophone

Après la vénération d’OK Computer, Thom Yorke et ses camarades tombent en panne sèche d’inspiration. Lassé des conventions imposées par le rock, Radiohead plonge tête première dans la musique électronique, le krautrock et le jazz. Afin de donner du sens à ses textes, Yorke les assemble au hasard, conjuguant ainsi de nombreux clichés émanant du quotidien avec ses propres observations; des textes qu’il considère encore aujourd’hui comme étant inintéressants. Et pourtant. Kid A célébrait l’arrivée du nouveau millénaire de façon singulière, mettons… (SD)

Daniel Bélanger — Rêver mieux (2001)

Audiogram

Après deux albums qui ont marqué le Québec, Daniel Bélanger revient avec une troisième offrande qui ose une nouvelle direction, où des éléments de musique électronique colorent l’ensemble. Il aurait eu le coup de foudre pour le travail instrumental des Français d’Air… Mais étant donné qu’il ne sait écrire que des chansons, Rêver mieux fut le résultat de son expérimentation. Cet album aux textes où il n’hésite pas à nous faire de grandes confidences sur les relations amoureuses représente un autre sommet dans la carrière du talentueux auteur-compositeur-interprète. (MR)

Fugazi — The Argument (2001)

Dischord

Dès sa sortie, ce disque a étonné les irréductibles fans de la formation. Plus apaisé et moins discordant qu’à l’habitude, Fugazi présente une réalisation assurément plus mature. Si l’emploi abusif du terme post-punk ne venait pas plomber la crédibilité de mon propos, je l’utiliserais sans aucune gêne pour qualifier ce chef-d’œuvre. The Argument pourrait être l’un des seuls albums de l’histoire à être vraiment digne de cette appellation. La plus récente création de Fugazi (je vous rappelle qu’ils sont officiellement « en pause » depuis 2002) est indispensable pour tout fanatique de punk-post-hardcore qui se respecte. (SD)

Interpol — Turn On the Bright Lights (2002)

Matador

Pigeant allègrement dans les codes du post-punk des années 1980, Turn On the Bright Lights est un hommage senti à des groupes comme Joy Division (la voix de Paul Banks), mais surtout à la formation The Chamelons UK. Les textures de guitares sont une copie conforme du son transmis par le quatuor anglais. Et suggérer que cet album est un simple produit de son temps est un argument un peu mince. En 2002, il y avait d’excellents groupes à New York, mais un seul a conçu cet album : Interpol. Leur meilleur album en carrière, et de loin. (SD)

Converge — Jane Doe (2002)

Equal Vision

Tous les fanatiques et connaisseurs de musique abrasive vous le diront : Converge est le groupe le plus bruyant, le plus intègre et le plus compétant du « métalcore ». Sur Jane Doe, la formation menée par le virtuose Kurt Ballou (il est aussi le réalisateur attitré de la formation) propulse son art à un niveau supérieur. Inspiré par le démantèlement de longues amitiés et les relations amoureuses conflictuelles, Converge plonge dans les abîmes de la détresse émotionnelle. Et la pièce-titre est un pur chef-d’œuvre! (SD)

Wilco — Yankee Hotel Foxtrot (2002)

Nonesuch Records

Yankee Hotel Foxtrot reste l’œuvre-phare de la formation américaine Wilco. Ce disque, qui devait être commercialisé par Reprise Records (maison de disques appartenant à Warner), fut d’abord rejeté pour son manque de potentiel commercial, pour être finalement mis sur le marché par Nonesuch Records… un label se rapportant lui aussi à Warner !!! Au-delà de ces considérations mercantiles, Jeff Tweedy et ses acolytes renouvellent leur folk-rock habituel en le bonifiant de claviers minimalistes, de dissonances et autres expérimentations. (SD)

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