Critiques

M (Matthieu Chedid)

Lettre infinie

  • Wagram Music
  • 2019
  • 43 minutes
8
Le meilleur de lca

Matthieu Chedid, alias -M-, est probablement un des artistes les plus singuliers du rock français, cumulant vingt ans de carrière sans avoir eu à réinventer sont identité musicale. C’est dire à quel point elle était forte dès ses débuts, et le reste tout autant après cinq albums studio et une quantité incroyable de projets et collaborations. On reconnaît tout de suite une chanson de -M- par la quantité d’amour qu’il met dans chacune d’elle; une chaleur humaine, une proximité de conscience. Il souhaite partager le moment présent, en chuchotant ou en chantant en falsetto. Musicalement, la structure rock française incorpore régulièrement des éléments disco, funk et jazz dans les pièces plus dansantes, la guitare acoustique et le piano pour les balades plus intimistes. Chedid est de retour, pour bien commencer l’année, avec son sixième album studio, Lettre infinie, sur lequel nous retrouvons une maîtrise totale de la trame musicale, et une qualité d’écriture qui joue avec le sens des mots. Nouvel album à savourer lentement donc.

La batterie démarre la pièce titre, rythmiquement parlant. Chedid chante tout doucement au-dessus de la trame jazz, avec piano rhodes et guitare wah-wah, et sa fille Billie qui répète le titre en choeur. « M est la lettre de l’amour qui a des ailes » déclare-t-il. Superchérie commence sur une ligne de basse jouée à l’octave, servant de base disco à la choriste, qui accentue également le titre de la pièce. La suite d’accords à la guitare rythmique fait penser à Get Lucky, avec le même effet d’entraînement vers la piste de danse combiné à celui du légendaire « c’est-ma-tooouuune ». Les jeux de mots ici sont particulièrement simples et efficaces. Massaï enlève l’habillage pop pour se concentrer sur un quatuor batterie/basse/guitare/piano plus dénudé, qui joue si doucement, comme en version unplugged. Le duo vocal père/fille créer une belle harmonie à travers le thème musical plus dramatique. Après un peu d’introspection, Logique est ton écho fait sourire comme le ferait un pastiche d’un succès des années 80, accentué par l’effet de délai appliqué sur la voix de la choriste (qui répète le titre ici aussi). Le solo de synthétiseur est irrésistible/insupportable, selon la façon dont les années 80 vous ont marqué.

Grand petit con débute en a cappella et envahi ensuite la piste de danse avec sa structure disco, par-dessus laquelle Chedid personnifie un narcissique français sur un ton humoristique (l’équivalent d’un p’tit crisse). La balade L.O.Ï.C.A. prend le temps de se poser avec sa ligne mélodique aux piano et clarinette, Chedid chantant amoureusement pour sa compagne. Adieu mon amour reprend le groove en main, avec ligne de basse électro, guitare wah-wah et production daft punkienne. Les shakers, le synthé glissando et la guitare rythmique décorent merveilleusement bien le thème central, on en oublie presque le texte. L’alchimiste s’assume très bien avec son gros rock dense, presque punk, et son chœur hilarant qui clame un « beep beep beep beep yeah! » tout droit sorti de Drive My Car, probablement la piste la plus dynamique et énergisante de l’album.

Le ronronnement d’Happy (le chat de Chedid) ouvre Thérapie, pièce dont la sensibilité rappelle celle de Massaï, sa fille ponctuant son père avec le nom du chat, tous deux accompagnés par la guitare acoustique et le roulement à la batterie. Une seule corde s’écoute comme une comptine mélancolique, légèrement théâtrale, durant laquelle Chedid raconte, guitare acoustique à la main et cordes jouées une à la fois. La guitare électrique et la basse monophonique ouvrent Si près si sur une note plus funk, le groove est particulièrement sexy. Chedid chante doucement son état d’âme, et sa fille accentue le refrain en chœur. La balade L’autre paradis prend place au piano, et bien que la mélodie soit jolie, les percussions et l’atmosphère ainsi créée font penser à un classique de la chanson québécoise, L’amour a pris son temps. Billie ferme l’album à la guitare acoustique, comme une lettre à sa fille, accompagné par nulle autre qu’elle-même.

-M- est devenu un maître du rock français, écrivant et composant avec une sincérité telle qu’il ne semble pas y avoir de filtre sur Lettre infinie. Le mélange de détails quotidiens, d’anecdotes et de sujets plus dramatiques rend chaque pièce très humaine, montée de façon à ressentir autant le souffle du chanteur que celui de la pièce. Bien évidemment, la production prend quelquefois le dessus pour rendre service aux pièces plus mordantes. C’est là, peut-être, que se trouve le charme éternel de -M-, cette facilité à passer de la légèreté à la lourdeur, avec ou sans jeux de mots. Comme il dit, j’aime.

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