Liturgy
93696
- Thrill Jockey Records
- 2023
- 82 minutes
Au cours des dernières années, la meneuse de la formation Liturgy, Ravenna Hunt-Hendrix a donné corps à une transition de genre. La modification de son apparence et de son identité est indissociable de la démarche artistique que le quatuor originaire de Brooklyn préconise. Hunt-Hendrix met aussi toutes ses énergies créatives à se défaire des étiquettes musicales attribuées à son groupe, en toute cohérence avec sa démarche identitaire.
En 2011, avec Aesthetica, Liturgy mélangeait habilement le black métal à l’art rock. Quatre plus tard, Hunt-Hendrix et ses acolytes ajoutaient des éléments d’IDM et de trap à leur musique avec The Ark Work. En 2019, la formation élevait à nouveau son niveau de créativité avec la sortie de H.A.A.Q; un long format inséparable d’une conférence qui peut être visionnée sur YouTube, semble-t-il. Et en 2020, les New-Yorkais présentaient un opéra black métal titré Origin of the Alimonies. Une œuvre cinématographique, toujours réalisée par Hunt-Hendrix, accompagne l’écoute de cet album.
Alors, à quoi s’attendre de la part d’un groupe et d’une artiste en constante recherche de dépassement créatif ? 93696 est la synthèse sonore de tout ce qu’a élaboré la formation depuis le début de sa carrière. L’emblématique black métal, l’art rock, les influences opératiques, les musiques classiques, électroniques et industrielles sont tous présents. Sur les créations précédentes, certains de ces éléments étaient parfois trop appuyés (voire l’abus du glitch électronique), produisant des ruptures de ton agaçantes et discréditant par moments le désir de différenciation d’Hunt-Hendrix. Cette fois-ci, Liturgy présente un album totalement cohérent, probablement le meilleur de sa carrière.
Hunt-Hendrix a échafaudé sa création autour de quatre lois qui gouverne sa propre interprétation du « divin » : souveraineté, hiérarchie, émancipation et individuation. Toute cette harangue théorique et « intellectuelle » est ampoulée. En fait, ce qu’il faut surtout retenir, c’est cette déclaration que la compositrice a formulé dans le communiqué de presse remis par la maison de disque Thrill Jockey : « Nous avons enregistré cet album de manière plus « live » que d’habitude, en cherchant surtout à obtenir un son plus « punk rencontre classique » que métal ». [traduction libre]
Et ça s’entend!
Malgré les arrangements orchestraux qui pullulent et l’utilisation d’instruments singuliers (marxophone, ocarina, etc.), l’explosivité dont fait preuve Liturgy, sur ce nouvel album, est absolument époustouflante. L’album est échafaudé autour de quatre pièces-fleuves, magnifiquement déflagrantes : Djennaration, Haelegan II, Antigone II et la pièce-titre.
Dans 93696, morceau d’une durée de quatorze minutes, la force de frappe du quatuor est à son summum et ce n’est pas étranger à la performance exceptionnelle du batteur Leo Didovsky. Antigone II, pièce quasi conclusive de l’album, est la parfaite mixture entre la puissance du black métal proférée par Liturgy et l’affection de la formation pour les orchestrations monumentales. Et Djennaration est tout simplement… épique !
Certains instrumentaux sont d’un pur ravissement permettant ainsi à nos oreilles, soumises à un assaut sonore passablement hyperactif, d’avoir accès à de courts moments d’apaisement. La néo-classique Angel Of Individuation est absolument sublime. Impossible de demeurer de marbre à l’écoute de cette pièce émouvante. Les chœurs célestes dans Angel of Sovereignty, eux, nous plongent dans une atmosphère quasi ecclésiastique.
Les quatre-vingts minutes et quelques poussières de ce 93696 sont bien entendu hautement exigeantes. Ceux qui étaient exaspérés par les revirements et les sonorités provocatrices de Liturgy ne modifieront pas leur avis sur la formation. En contrepartie, ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, n’étaient jamais totalement rassasiés par le travail d’Hunt-Hendrix et ses camarades trouveront enfin quelque chose de franchement bourratif à se mettre dans les oreilles.