Critiques

Liturgy

Origin of the Alimonies

  • YLYLCYN
  • 2020
  • 37 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Hunter Hunt-Hendrix et son groupe ont toujours fait de la musique particulièrement exigeante. Certains les accuseront même d’élitisme pompeux et il est parfois difficile de les démentir entièrement. Sur Origin of the Alimonies, les théories sur l’art total du groupe prennent toutefois enfin tout leur sens, poussées encore plus loin qu’à l’habitude, mais sous une production plus soignée. Au point où le résultat final est probablement leur album le plus radical, mais aussi le plus accessible à ce jour.

Enfin, presque accessible : on parle quand même ici d’un opéra black-métal. Autant la tâche de réaliser le tout peut paraître ardue, voire impossible, autant elle permet au groupe d’affiner certaines idées en chantier depuis des années. Alors que sur H.A.A.Q. (2019), la formation assumait un brutalisme choc un peu gratuit, souvent aux dépens de la netteté du son et des arrangements, ici tout est clair. Les harpes et les cordes sont profondes et les flûtes dissonantes ont toute la place nécessaire pour faire valoir leur inévitable stridence. Parce que oui : Origin of the Alimonies  est un album orchestral à la base. S’éloignant du métal pur, Liturgy nous offre une œuvre à saveur contemporaine assumée dans laquelle le quatuor habituel se fait accompagner de huit musiciens forts talentueux. Et quand je fais le lien avec la musique contemporaine, ça ne sort pas de n’importe où : on retrouve même sur cet album une reprise métal de l’Apparition de l’église éternelle, une pièce pour orgue de 1932 d’Olivier Messiaen.

Ce mélange cryptique de styles est d’ailleurs plus évident que jamais. Les séquences électroniques de glitch, ou ‘’burst beats’’ comme le mentionne Hunt-Hendrix, se font un peu plus subtiles qu’à l’habitude, même si elles font partie de l’ADN de Liturgy. Les productions numériques seront toutefois à l’honneur sur une pièce : SIHEYMN’s Lament. L’ostinato de piano qui ouvre la pièce se transformera rapidement en beat trap, accompagnant un ensemble de cordes agressif et des percussions tout ce qu’il y a de plus métal. Sur papier, ça a l’air risqué, mais le mélange réussit habilement à ne pas trop choquer l’oreille.

Outre la musique, les thèmes de l’album sont aussi très intéressants, offrant une analogie sur la transition de genre de Hunter Hunt-Hendrix et sur ses propres transformations corporelles, comme ses nouveaux seins qu’elle expose fièrement sur la pochette du disque et dans le vidéo qui l’accompagne. Origin of the Alimonies est un récit cosmogonique. On y raconte la séparation d’une entité originelle en deux dieux (OIOION et SIHEYMN), leur solitude grandissante et la naissance d’un monde tragiquement oppressé par quatre lois universelles. C’est du moins ce qui est mentionné dans le libretto, puisque les paroles sont pour le moins incompréhensibles et n’offrent pas beaucoup d’indices sur la trame narrative. S’inspirant à la fois de Wagner, de William Blake, de la Kabbale et des philosophies new age dont elle raffole, Hunt-Hendrix offre une réflexion sur la dysphorie, la création de l’ego et l’identité et sur la recherche d’émancipation.

Au final, ce qui marque surtout l’écoute, outre la musique, c’est ce patchwork d’influences variées. Oui, on fait face à du black métal, mais également à une œuvre totale qui témoigne d’une érudition particulière autant dans le champ musical que philosophique. Les sept pièces de l’album sont efficaces et suffiraient à elles seules à fournir une écoute intéressante, mais c’est surtout la capacité qu’a Origin of the Alimonies à venir chatouiller l’esprit et à proposer des questionnements d’une profondeur variable qui fait son grand succès. Si Liturgy avait tendance par le passé à vouloir choquer par pur radicalisme, leur musique, souvent confrontante, se fait ici plus profonde et plus soignée. La dissonance est justifiée et choque donc moins, s’intégrant pour une fois dans un discours plus large, mais plus facile à comprendre que sur les œuvres précédentes de la formation new-yorkaise. Et ce même au risque de déboussoler certains de leurs fans.