Springtime
Springtime
- Joyful Noise Recordings
- 2021
- 47 minutes
S’il y a une forme d’art dont le rythme de production ne cesse de nous étonner année après année, c’est bien la musique populaire. Le rock en particulier — même s’il est devenu ringard pour certains ou persona non grata pour d’autres — n’a rien à envier aux autres genres musicaux, du moins en ce qui a trait au nombre de sorties annuelles. Il va sans dire qu’à cette cadence, il est facile de s’étourdir et de perdre le fil de toutes ces parutions.
En novembre dernier, le bon Garreth Liddiard (Tropical Fuck Storm, The Drones) unissait son indéniable talent à celui du batteur Jim White (Dirty Three) et du pianiste-claviériste Chris Abrahams (The Necks, The Benders). Ce « supergroupe » océanien se nomme Springtime. En mai dernier, Liddiard a contacté les deux musiciens «… just to see what happened when you make a Necks, Dirty Three, Tropical Fuck Strom/Drones cocktail ». Après une semaine d’écriture et de répétitions, le trio s’est engouffré en studio pour en ressortir avec un premier album éponyme.
Manquant de temps pour rédiger les textes de l’album, Liddiard a confié l’écriture de certaines chansons à son oncle, le poète britannique Ian Duhrig. C’est lui qui signe les paroles des pièces The Viaduct Love Suicide et Jeannie Is a Bottle, deux chansons particulièrement émouvantes. La première raconte l’histoire d’une femme à bout de ressources, pour elle et son fils, et qui s’apprête à commettre l’irréparable. La deuxième évoque l’alcoolisme dissimulé d’une enseignante elle aussi à bout de souffle.
« And she stepped from the bridge
With her child in her arms
To join with the earth
No providence harmsAnd wind from the wheat fields
– The Viaduct Love Suicide
Blows through Bridgehill
And the last light of evening
Falls on Blackhill »
« She drinks more than she would admit
– Jeannie Is a Bottle
But she holds her liquor well
Her clothes are always clean and pressed
And her breath don’t ever smell
She puts the bottles in the bottle bank
Before she meets the kids
Their teachers never seem to notice
Her eyes, her heavy lids »
Musicalement, Springtime évite la surenchère instrumentale. Guitare, batterie, piano suffisent à capter notre attention et à nous émouvoir franchement. Combiné au chant habité, intense et galvanisant de Liddiard — qui remémore le Nick Cave des années 90 — le trio nous présente sept pourvoyeurs de frissons.
C’est dans la relecture complète d’une pièce des Drones, The Island (chanson parue sur l’album Here Come the Lies en 2015), que le trio nous épate. Dans ce morceau, vous entendrez toute la force de frappe et la singularité de Springtime. Liddiard déclame son texte avec une sincère sensibilité, White s’agite derrière les fûts comme un batteur de jazz et Abrahams joue le rôle de gardien mélodique. Toute cette mixture devient cathartique quand Liddiard y ajoute des salves de guitares dissonantes et frénétiques. Une grande chanson.
Ce disque qui amalgame improvisation, art rock, bidouillages électroniques et larsens s’appuie sur une sorte de colère maîtrisée, mais d’abord et avant tout sur une crainte de voir ce monde chavirer dans une dystopie terrifiante. Cette mélancolie, parfois anxiogène, est accentuée par le mixage inhabituel de la batterie qui semble avoir été enregistrée dans un autre espace-temps.
Ce premier effort des Australo-Néo-Zélandais vous tirera assurément les larmes tant il est animé par un authentique serrement de cœur. Pas d’audace pompeuse. Juste une dose massive de sincérité dans un monde qui en manque cruellement.
Un disque paru l’année dernière qui a malheureusement passé sous nos radars. Nos excuses.