Feu! Chatterton
Palais d’argile
- Barclay
- 2021
- 67 minutes
5,5. Oui. J’entends déjà les gens crier à l’outrage. J’aurais vraiment aimé donner une meilleure note à cet album et tripper autant que sur les précédents du groupe. Il faut dire que la barre était particulièrement haute, tellement que certains voyaient Feu! Chatterton comme les sauveurs de la chanson française, en perdition face aux musiques urbaines et aux tendances pop actuelles. Le problème, c’est qu’on dirait ici que le groupe se retrouve lui-même dépassé par les événements.
La thématique qui revient le plus régulièrement sur cet album, c’est la technologie. Un thème bien d’actualité? Oui, mais c’est ici éculé. Tout est traité d’un point de vue excessivement réactionnaire : les machines contrôlent nos vies, où est passé ce monde d’avant dans lequel on était si bien? N’est pas George Orwell qui veut hein! Après les trois premières chansons, on en vient même à se demander si ce n’est pas parodique. Philippe Katerine et Joël Martel auraient-ils rédigé les textes du groupe? Je vous laisse ici deux exemples particulièrement marquants.
« Que savions-nous faire de nos mains?
Zéro.
Attraper le Bluetooth?
Que savions-nous faire de nos mais?
Presque rien. »
« Oh, j’ai un cookie!
Les navigateurs veulent mieux te connaître,
Fais-leur coucou.
Oh, j’ai un cookie!
Les navigateurs sont à la fenêtre. »
Par moments, Feu! Chatterton verse dans un trip « gilet jaune » bien franchouillard qui s’explique mal. Les textes, pourtant si poétiques à l’habitude, se retrouvent maintenant truffés de non-sens et de références aux chiens en laisse et aux panthères (!?!). Les rimes sont souvent faibles et l’on se retrouve avec des lignes comme « Que personne ne s’inquiète, on se retrouvera sur le net » ou « Un punk iroquois, ni qui ni pourquoi, bikini turquoise ». Et je ne suis qu’à la troisième chanson de l’album!
Le simple Monde nouveau aurait déjà dû lever le drapeau rouge. Les textes réacs y abondaient de même que les références au ‘’serveur central’’, mais bon, vu la qualité de la production musicale bien pop à la Future Islands, ça semblait excusable. Deuxième extrait : Avant qu’il n’y ait le monde. Magnifique chanson, on aura certainement droit à un autre excellent album de Feu! Chatterton. Mais non.
C’est dommage parce qu’il y a tout de même de magnifiques chansons durant ces 67 ambitieuses minutes de musique. Somme toute, les qualités compositionnelles sont généralement très bien. C’est honnêtement bien écrit, même si c’est disparate à l’excès. D’une chanson à l’autre, on change d’univers du tout au tout. On dirait presque cet album n’existe finalement que pour héberger des chansons qui vont groover un peu plus en spectacle et accompagner Boeing. Même la collaboration avec Arnaud Rebotini ne parvient pas à sauver le tout, alors qu’elle se fait souvent discrète.
Avec ce grand nom de la french touch à la réalisation, on aurait donc pu s’attendre à des productions électroniques bien actuelles. C’est mission accomplie par moments, il faut l’avouer. Vers la fin de l’album, on a droit à une belle fusion entre la musique traditionnelle de Feu! Chatterton et ce nouveau son qui leur fait très bien. Sur Cantique et L’homme qui vient, les claviers arpégés et les basses synthétiques sont très bien pensés, de même que la section dance sur Cristaux liquides. Le problème, c’est que des artistes comme Blind Digital Citizen ou Flavien Berger faisaient déjà exactement la même chose en 2014.
Au final, on se retrouve donc avec des morceaux comme Avant qu’il n’y ait le monde, La mer ou Cantique, qui sont parmi les meilleurs titres du groupe à ce jour, mais aussi avec d’autres comme Compagnons qui sont difficiles à prendre au sérieux. L’emballage est bon, mais le contenu varie trop pour être réellement appréciable sur cet album en deux temps. Oui, il y a de très bons moments sur Palais d’argile et on sent vraiment que le groupe a voulu s’y faire plaisir plus qu’à l’habitude, mais ça ne suffit pas, surtout pour une formation de la trempe de Feu! Chatterton.