Leprous
Pitfalls
- InsideOut Music
- 2019
- 67 minutes
Un peu comme l’évolution en carrière de Mikael Åkerfeldt de Opeth, Einar Solberg dirige la barque de Leprous vers des rivages nettement plus progressifs avec Pitfalls, s’éloignant des rives du métal.
Avec Malina, le groupe commençait déjà à aller vers ces sonorités. On peut toutefois dire que leur sixième album (sorti le 25 octobre dernier) est encore très pesant, mais dans un autre sens: il reflète une tristesse tout simplement écrasante. Voulant «exhiber une plus grosse partie du registre émotionnel» et écrire à propos de «quelque chose de vrai et d’authentique», Einar Solberg a donc tenté différentes avenues. C’est un album ambitieux, qui aurait presque pu être un projet solo tant il est intime, personnel et complexe.
La voix de tête de Einar Solberg est vraiment mise de l’avant dans Pitfalls, ce qui est un peu étrange quand on s’attend à entendre le spectre complet des instruments. Ceux-ci se retrouvent plutôt relégués à l’arrière-plan pour accompagner la voix, le tout à travers les arrangements de cordes. Certaines pièces comme Foreigner tombent en outre dans le grand vase des clichés du prog (si une telle chose existe), s’approchant d’un Dream Theater réchauffé. Leprous a toutefois la grâce de s’abstenir de faire un déversement inutile de millions de notes.
Observe the Train est une ode à la respiration, et met de l’avant le fait d’être conscient de ses propres pensées. Durant l’écriture de l’album, Einar Solberg a souffert d’anxiété et de dépression. Pour passer à travers tout cela, le chanteur et musicien a souvent fait appel à la méditation et à la pleine conscience. Il affirme ne pas avoir eu nécessairement recours à la religion en tant que telle, même si l’album est orné d’une illustration représentant une statue de Bouddha (créée par Elicia Edijanto).
Pitfalls est aussi un opus un peu disloqué, qui va dans toutes les directions. I Lose Hope (presque disco avec sa basse très groovy) ou Below (un peu trop sirupeuse et tragique) le démontrent bien. Les guitaristes s’amusent encore à faire des petits riffs rapides de tapping, ce qui est un peu redondant, mais ça fait partie de la signature du groupe.
At the Bottom explore un ton inquiétant et mystique à la fois, avec un moment de violon qui évoque un cimetière rempli de brouillard. Distant Bells donne l’impression de pouvoir contempler le monde dans une bulle de verre, où tout ralentit et verse dans le tragique.
Pour The Sky Is Red, une chorale classique de Serbie a été engagée. Cette pièce contient des centaines de couches sonores et a été écrite en moins de deux heures, lorsque Einar Solberg était dans un état de flow. Ça donne un résultat parfois un peu bizarre, l’instrumentation étant en dissonance avec les choeurs lors de la deuxième moitié. On y visite toutefois beaucoup de nuances et d’ambiances différents. Les rythmes vaguement électroniques apportent une touche moderne à l’ensemble, qui s’approche souvent d’une sorte de baroque lourd et emprunté, voire convenu.
Deux pièces bonus n’étaient peut-être pas vitales, car Pitfalls fait déjà 55 minutes. La reprise de Angel de Massive Attack présente toutefois une version orchestrale intéressante, plongeant dans la chanson plus en profondeur.
Bref, même si le ton général du disque est lancinant et d’une noirceur presque opaque, on dénote quand même de brèves éclaircies. Mais ce voyage en contrées sombres peut être vraiment long si on n’est pas prêt à y embarquer. On doit être patient afin de bien l’apprivoiser, et se munir d’équipement de sûreté pour ne pas tomber trop loin dans ce trou noir dépressif quasi dangereux.
Mais n’est-ce pas là tout le pouvoir des artistes? S’ils peuvent attraper notre main au passage et nous faire descendre ou monter avec eux, alors leur travail est accompli.